La première soirée a fait la jonction entre l'ici (les Gnawa) et l'ailleurs (les musiciens venus du monde), avec des concerts qui ont, une nouvelle fois, permis de constater l'incroyable ouverture de la musique gnaoua et la grande capacité d'adaptation de ses maîtres. Beaucoup s'accordent à considérer le Festival gnaoua et Musiques du monde d'Essaouira comme un "moussem [fête rituelle] moderne" ou "profane" des Gnawa, qui leur offre la possibilité de présenter le versant musical de leurs pratiques rituelles, de mettre en scène leur art, révélant ainsi une tradition d'une incroyable ouverture et une musique d'une grande richesse. Une musique qui laisse rarement indifférent celui qui l'écoute, tant elle prend aux tripes et parle au cœur ! Il est évident que certains trouveraient une exagération dans cette idée de reformulation du moussem, mais elle s'applique parfaitement à ce qui est montré au Festival gnaoua et Musiques du monde d'Essaouira et dont le coup d'envoi de la 18e édition (du 14 au 17 mai) a été donné avant-hier. Comme le veut la tradition, c'est une parade qui ouvre le Festival, traversant la médina d'Essaouira – de Bab Doukkala vers la place El-Menzah. Troupes gnawa menées par des maâlems qui manient tbel (tambour) avec dextérité, confréries aïssaoua et hmadcha ont fait, par leurs instruments canoniques, leurs tenues bariolées et leurs rythmes entraînants qui invitent à la danse et à la fête, durant près de deux heures, le bonheur des festivaliers et des passants. Côté grande scène, place Moulay El-Hassan, le public était au rendez-vous pour découvrir les propositions artistiques des maâlems gnawa qui rencontrent (reçoivent) des musiciens venus d'ailleurs, pour de grands moments de dialogue en musique et de partage. Pour rêver ensemble d'un monde aussi harmonieux que les airs et les rythmes qui se croisent sans s'entrechoquer et qui pulvérisent toutes les frontières – celles qui existent vraiment et celles qui ne sont que dans nos têtes. La première soirée du Festival gnaoua et Musiques du monde d'Essaouira a fait la jonction entre l'ici (les Gnawa, maîtres de cérémonie et maîtres musiciens) et l'ailleurs (les musiciens venus de différents pays et appartenant à différentes cultures et traditions musicales). Le concert d'ouverture, qui a réuni l'artiste afghan Humayun Khan et le maâlem Hamid El-Kasri, concrétise précisément cette rencontre entre ce que nous appelons l'ici et l'ailleurs. Fruit d'une résidence, le spectacle a favorisé un dialogue entre deux maîtres de musique, qui ont du talent, une belle expérience et une maîtrise de plusieurs répertoires (poésie perse et raga classique indien pour Humayun Khan et répertoire gnawa ainsi que d'autres musiques populaires et traditionnelles du Maroc pour ce qui concerne Hamid El-Kasri). L'harmonium d'Humayun Khan et le guembri de maâlem Hamid El-Kasri ainsi que les autres instruments (karkabou, violoncelle, basse, batterie, percussions) se sont mêlés pour suggérer des influences, apporter quelques nuances de couleurs et parfois des accents jazz à des musiques qui bien souvent sont profondément ancrées dans la tradition. Un "GRAND" moment de musique. Les Gnawa au sommet de leur art Après cette prestation de maîtres, la scène a été cédée à maâlem Mokhtar Guinéa. Issu d'une grande famille de Gnawa d'Essaouira, maâlem Mokhtar a proposé un répertoire traditionnel, revisitant particulièrement la mhala (cohorte) des Moussaouyine, les esprits marins. Il interprétera, en outre, le titre Bouderbala (qu'on retrouve généralement dans la voie rituelle dans la partie Nougcha) mais sa version se rapprochait beaucoup, notamment dans l'interprétation, de celle du diwane d'Algérie. La scène sera ensuite investie par deux maîtres, l'un de la guitare et l'autre du guembri, qui ont fêté sur scène des retrouvailles. Il s'agit de Mikkel NordsØ du Danemark et de maâlem Mustapha Baqbou de Marrakech. Les mélanges que propose Mikkel NordsØ Band (rock, jazz, blues) ont intégré également la musique gnaoua lors de ce concert. D'un autre côté, maâlem Mustapha a, une fois de plus, prouvé sa grande capacité d'adaptation et sa maestria au guembri. Le tagnaouite de Marrakech sera encore une fois à l'honneur avec la dernière prestation de la soirée assurée par un très inspiré maâlem Abdelkébir Merchane. Avec son groupe Ouled Sidi Hamou, maâlem Abdelkébir a choisi de reprendre la quasi-totalité de la mhala des Verts, relative aux Chorfa (saints), ainsi qu'une bonne partie de la mhala des Haoussawiyine, représentée par la couleur noire. Vers la fin de sa prestation, il sera rejoint par le batteur algérien Karim Ziad, et non moins codirecteur artistique du Festival d'Essaouira, qui accompagnera les Ouled Sid Hamou entre autres sur Sandiya. Par ailleurs, le Festival gnaoua et Musiques du monde se poursuit jusqu'à dimanche, avec une programmation "éclectique", sur la grande scène place Moulay El-Hassan, la scène de la plage et celle de Bordj Bab Marrakech. à cela s'ajoutent des soirées intimistes, qui se déroulent dans un cadre convivial à Dar Souiri et la zaouïa Issaoua. Outre la musique, "l'Arbre à palabres", qui fête ses dix ans cette année et qui se tient à l'Institut français, accueillera les artistes du Festival pour évoquer leurs parcours et expériences et échanger avec le public. Enfin, la 4e édition du Forum du Festival, qui s'étale sur deux jours (vendredi et samedi), a pour thème cette année "Femmes d'Afrique, créer, entreprendre". Mais au-delà de la programmation, des rencontres fabuleuses, des Gnawa au sommet de leur art, des musiciens de plusieurs "ailleurs", il y a aussi une ville qui rend ce rêve, ce festival possible, avec ses habitants, son histoire et ses légendes. S. K.