L'artiste évoque Mazal, son nouveau disque dans lequel il continue d'explorer les airs et les rythmes du continent et d'ailleurs, avec son projet University of Gnawa. Liberté : Votre deuxième album, Mazal, est un peu différent du premier. Il est beaucoup plus écrit ou du moins on a cette impression-là, tant il est d'une fluidité remarquable. Aziz Sahmaoui : Dans le premier album de University of Gnawa, et en dépit des différents climats, il y a un lien. On sent un côté roots et on sent cette unité dans les morceaux. Il ne faut pas perdre ce côté roots que nous avons ; nous avons la chance d'avoir de très bons musiciens qui aiment la scène, qui aiment le live et qui permettent à la musique de grandir. Cette communication, le rythme, cette transe, ce groove, ça nous emporte et ça ouvre d'autres portes sur d'autres univers avec l'échange aussi, donc la scène est très importante pour nous. On aime la scène, on aime transpirer, on aime être nous-mêmes ; on aime cette réalité, cette authenticité. Pour le deuxième album, Mazal – suite au morceau Mazal que j'ai fait pour me rapprocher du chaâbi ; c'est un hommage aussi à la musique chaâbi, un hommage à la Casbah, à Alger, à l'Algérie. C'est mon amour pour cette culture – je voulais aussi que les gens nous connaissent sous un autre angle, je voulais qu'ils me connaissent et me découvrent – cette découverte me concerne aussi, les musiciens et moi – comme auteur-compositeur, d'où ce côté écriture bien présent. C'est vrai que souvent on associe à Aziz Sahmaoui l'image de tagnaouite, aux Gnawa, ce qui est vrai, mais ce n'est qu'un côté. Je voulais que les gens découvrent autre chose, une autre manière d'écriture sur la musique, sur les textes, ces images qui nous entourent aussi, ces influences qui nous frappent parfois, mais parfois qui nous font rêver aussi parce qu'il y a les deux côtés : il y a cette difficulté, cette dureté de la vie qui parfois frappe et qui nous donne à réfléchir. Le titre "Yasmine", par exemple, chante d'une manière ironique le printemps (arabe) ; Water-Line, dans cette douceur, évoque la sécheresse ou la dureté d'un endroit, la dureté d'un comportement. Je voulais dans Mazal que ce côté écriture, composition soit là. Je voulais que les gens nous connaissent aussi comme ça. Une autre impression : on constate une cohérence aussi bien dans les textes que dans les sonorités, et le côté maghrébin est beaucoup plus présent. Nous sommes au service de la musique. Je voulais chercher cette simplicité, cette facilité, cet accès, que la musique soit accessible et l'introduire de la façon la plus simple. Effectivement, il y a ce côté maghrébin, notre culture maghrébine. Je chante en arabe mais après ceci nous amène à chanter en wolof, en tamazight... Il y a cette diversité aussi qui est due aux membres de University of Gnawa – et je considère cela comme une richesse – qui fait qu'il y a ces changements, cette diversité dans les jeux de chacun, dans le langage de chacun, le tout donne cette couleur ou cette manière de jouer, toujours au service de la musique et toujours au service de la culture. Quand on prend par exemple un morceau comme Yasmine, c'est un morceau composé rythmiquement mais il est accessible. Il y a cette fluidité même si le rythme est composé, mais on trouve cette facilité, cette accessibilité à l'écoute. J'aime cette simplicité, le fait d'avoir accès à la musique. Parlez-nous des textes de cet album. Dans quel état d'esprit vous écrivez ? J'aime écrire de temps en temps, parfois ça arrive vite comme si Dieu porte la parole et l'injecte dans l'oreille, les mots viennent et il y a le choix même. Justement pour le choix, je fais intervenir des amis, comme Nazim Ouhayoune –je le cite parce qu'il est kabyle, parle très bien l'arabe et l'écrit, et il est musicien mais pas professionnel. J'ai besoin de son avis et celui de mes amis, mais souvent ils n'ont pas accès à la langue ou à la métaphore. J'ai besoin de savoir quelle image il faut mettre, laquelle serait plus accessible, laquelle serait plus facile et qui aurait un sens pour l'autre ? Ecrire parfois est difficile, parfois tu cherches un mot qui ne vient pas, il ne sort pas ; tu as un refrain, tu essaies de le mettre d'une manière très simple et le mot qu'il faut ne vient pas, un jour, deux jours, une semaine... Et un jour à l'aube, tu te réveilles très tôt parce que tu as un départ ou parce que tu as quelque chose à faire, et tu te lèves alors qu'il fait encore nuit. À l'aube, il y a une magie, un secret. Dans ce silence, dans ce réveil, dans cette tranquillité surgit le mot que tu cherches parce qu'il est dans cette nature qui t'entoure. Il est important d'observer autour de soi, il est important de s'entre-aider, de demander de l'aide à la nature, à la lumière, aux arbres, aux gens, au mouvement, parce qu'il y a beaucoup de réponses là-dedans. Il faut jouer ce jeu et je trouve qu'on ne le joue pas assez. Souvent, on est concentrés sur nos petits soucis et on sature ; il n'y a plus de place au changement. Or, ce changement vient aussi du fait de libérer de l'espace dans son esprit, le matin en général, quand on se réveille on est bien et les idées viennent souvent. Beaucoup de gens écrivent le matin. Après on est saturé et on passe à côté de plein de choses. Mais dans cette tranquillité, on fait attention aux détails. Il y a donc beaucoup de réponses dans la nature, dans ce qui nous entoure. Les paroles du titre "Jilala" devaient être en tamazight, mais ceci n'a pu se faire... Je voulais chanter Jilala en tamazight parce que la mélodie est un peu amazighe, donc j'ai demandé à un ami, puis à un autre de m'écrire un texte et j'ai attendu, mais ça n'a pas abouti. Je voulais vraiment chanter en tamazight mais le texte n'était pas prêt, alors j'en ai écrit un rapidement. J'essaie maintenant de m'y prendre un peu à l'avance pour la suite. Mais moi, je fais partie de ces gens qui font les choses tout de suite. J'aime ça, j'aime cette façon de travailler, tout de suite. Un jour, Linley Marthe a dit à Joe Zawinul que je voulais chanter Can it be done, quand Joe m'a demandé si je voulais chanter ce titre, je lui avais dit que oui mais que j'ai besoin d'un peu de temps. Il a changé d'humeur et m'a dit : "This is we don't have" (C'est ce que nous n'avons pas]. Ça veut tout dire ! Si tu veux faire, tu fais maintenant. D'où le nom University of Gnawa qui englobe justement l'idée d'instantané, d'immédiat... Oui, c'est-à-dire que les frères sont prêts. On défend tous la même chose et c'est ça qui est beau. Il faut être prêt, il ne faut pas faire attendre ; on a perdu beaucoup de temps et il ne faut plus en perdre. Si tu veux faire quelque chose, il faut le faire tout de suite. S. K. Mazal de Aziz Sahmaoui. Album de musique, 12 titres (Inchallah, Hada ma jari, Une dune pour deux, Mazal, Water-line, Jilala, Yasmine, Lawah-Lawah, Firdawss, Daw Daw, Baba Mimoun, Allah Daym). Padidou édition. 150 DA.