Méditant sur le pénible cours de ce mois de Ramadhan 2015, fixant ce qui se passe dans ce monde musulman en sang, en guerre, en corruption, en trahison et en haine, j'essaie de me réfugier dans ma mémoire. Enfant que j'étais en permanence le nez enfoui dans les pages des livres, je me remémore l'image de ce mois exceptionnel, Ramadhan de jadis, et je le trouve aussitôt lié à la littérature, à la lecture profane, au temporel comme au spirituel. Aujourd'hui, j'aperçois que le monde de la culture savante accordait une grande importance à la préparation littéraire afin d'accueillir ce mois qui ne ressemble pas aux autres. Ainsi, les revues littéraires renommées et attendues par un large lectorat assoiffé de littérature, publiaient des numéros spéciaux pour marquer la lecture ramadhanienne, pas ramadhanesque ! Des revues, à l'image, d'El Hilal, Arrissala, Rose El Youcef, El Arabi proposaient aux jeûneurs des nouvelles, des récits de voyage traduits d'autres langues. Ceci dit, que Ramadhan d'antan représentait une porte de paradis, celui des livres. Et, il fut aussi une porte ouverte sur l'autre, cet autre devenu aujourd'hui, en ce Ramadhan 2015, un kafer (apostat). Un renégat à tuer. Un adultère à lui faire la guerre sainte. Le Ramadhan d'antan fut l'occasion annuelle pour les maisons d'édition arabes, les vraies maisons d'édition, afin de satisfaire le désir et le plaisir du lecteur, elles chargeaient des traducteurs pour une mission culturelle littéraire particulièrement ramadhanienne : traduire des romans de l'anglais, du français, du russe ou de l'allemand, de l'italien... vers l'arabe. Un bref retour à la production littéraire et culturelle arabe des années quarante jusqu'aux années soixante et nous constatons que parmi les facteurs majeurs qui ont poussé à la naissance et au développement du mouvement des traducteurs littéraire dans le monde arabe, et en particulier ceux du roman, c'était le mois du Ramadhan. C'était la réponse à l'engouement enregistré en matière de lecture ramadhanienne. Cette traduction était une sorte de réponse à l'attente livresque signalée chez les jeûneurs. Le jeûneur d'hier ne ressemble en rien à celui d'aujourd'hui ! La plupart des classiques littéraires universels ont étaient traduits pendant le mois sacré, ou pour le besoin du mois sacré. Le Ramadhan d'antan ! Ainsi on a vu traduire en arabe, entre autres, Victor Hugo, Shakespeare, Gorki, Tolstoï, Dostoïevski, Molière, Dickens, Zola, Alexandre Dumas... Le Ramadhan de jadis était clément vis-à-vis du lecteur arabe et arabisé en lui offrant : la Divine Comédie, les Misérables, le Bossu de Notre-Dame, Arsène Lupin, Paul et Virginie, Hamlet, la Mère, Anna Karénine, Guerre et paix... Si le lecteur arabe ou maghrébin d'antan, durant le mois du Ramadhan, avait la chance de lire une bonne partie de la littérature mondiale, produit du génie universel, ce même lecteur ramadhanesque d'aujourd'hui se trouve égaré dans des livres trompeurs et sans âme : Tafssir el Ahlème (l'interprétation des rêves) d'Ibn Cyrine (654-731) ou La Tahzane (Ne sois pas triste) de Aidh El Qarni ou Touhfat al Arouss (comment préparer la mariée)»... Deux mondes différents. Jadis le lecteur cherchait la rencontre avec l'autre, construire un avenir commun, vivre ensemble, aujourd'hui le lecteur cherche une rencontre avec la mort, une coupure avec la vie. Jadis la lecture produisait un poète, un citoyen, aujourd'hui elle produit un kamikaze. Jadis, l'éditeur arabe, à Beyrouth, au Caire, à Damas, à Baghdad, à Tunis se prépare d'avance pour éditer des livres en roman, rééditer en édition populaire : Les Mille et Une Nuits, Le Prophète de Khalil Jobran, Kalila wa Dimna, les livres d'El Manfalouti, El Fitna el kobra (La Grande Sédition) de Taha Hussein... aujourd'hui, en ce Ramadhan 2015, les éditeurs republient les livres haineux et extrémistes d'Ibn Taymiyya, de Hassan el Banna... les livres appelant au meurtre, au Jihad contre l'Occident athée ou contre le musulman différent et éclairé, lui aussi, à leurs yeux, n'est qu'un autre athée. A. Z. aminzaoui@yahoo.fr