Un constat amer et un réquisitoire contre l'institutionnel ont été au rendez-vous d'une rencontre à Tunis qui a regroupé quelque 120 participants venus de différents pays arabes. Il est 10h49, et Salwa Kennou, la présidente de l'Association des femmes tunisiennes pour la recherche sur le développement (Aftrud), demande une minute de silence à la mémoire de toutes les femmes et filles mortes à cause des violences dont elles ont été victimes. Un moment solennel et un recueillement symbolique à l'ouverture du Forum régional sur la lutte contre la discrimination dans les législations, financé par l'Union européenne et organisé sous l'égide de l'Initiative féministe EuroMed, qui s'est déroulé du 10 au 11 décembre derniers dans la capitale tunisienne, et qui annonce la situation dramatique des femmes, particulièrement celles de la rive sud de la Méditerranée. L'intitulé, quoique restrictif en apparence, a ouvert grande la porte aux femmes venues de sept pays engagés dans la campagne médiatique "Tolérance zéro" face aux violences faites aux femmes et aux filles pour évoquer les problèmes communs rencontrés par la gent féminine dans cette région. Un constat amer et un réquisitoire contre l'institutionnel ont été au rendez-vous d'une rencontre regroupant quelque 120 participants venues d'Algérie avec l'association Femmes algériennes revendiquant leurs droits (Fard), d'Egypte, de Jordanie, de Palestine, du Liban, de Tunisie et du Maroc, mais aussi de Syrie et de Libye, entre représentant(e)s de la société civile et des organisations sociétales, des expert(e)s juridiques, décideurs et représentant(e)s des organisations des droits de la femme et des expert(e)s du genre social. Parmi les objectifs de ce forum rapportés dans la documentation officielle mise à disposition des participant(e)s : "Encourager et renforcer le dialogue régional concernant les priorités juridiques", "amendement des législations discriminatoires et leur adaptation avec les règles internationales des droits de la femme à l'exemple de la Cedaw ou encore de la Convention d'Istanbul". Un intitulé générique qui ne peut cacher l'étendue du mal et des souffrances de la femme arabe quelles que soient sa condition, sa religion ou son ethnie. Les différentes interventions au programme ont éclairé l'assistance sur les inégalités, les discriminations et les abus dont sont généralement victimes les femmes, mais pas que. Les droits de la femme arabe ne peuvent se dissocier de la situation générale du citoyen dans des pays arabes majoritairement totalitaires dont la législation, faite sur mesure, cadenasse les libertés individuelles et maintient continuellement les femmes sous tutelle masculine ou institutionnelle. Le combat de ces femmes est également celui de la citoyenneté élargie aux deux sexes et leur volonté d'émancipation contribue grandement à cette recherche de l'égalité sociétale pas entre hommes et femmes seulement, mais aussi entre citoyens à part entière d'Etats hégémoniques. Le forum en lui-même a été une tribune pour dénoncer tous les dépassements commis contre les femmes, et l'inventaire établi par Salwa Kennou est l'exemple froid et tragique de ce que peut être le quotidien d'une femme dans un pays arabe, de la rive sud de la Méditerranée. La tentation du mieux Traite des blanches, viol, prostitution dans les camps de réfugiés, mariage forcé des mineures, des filles enterrées vivantes... le constat est pénible à entendre, alors que dire de le vivre pour des milliers de femmes fragilisées davantage par des situations politiques et sécuritaires problématiques. Lilian Halls, co-présidente de l'Initiative féministe Euromed, parle, elle, d'un contexte de régression générale qui frappe de plein fouet les femmes et les prive du droit de vivre sans violence, en particulier dans les pays en conflit ou sous occupation. Elle souligne l'écart existant entre les résolutions, les textes, les lois et les déclarations sur les droits des femmes et la réalité de leur quotidien. La question première qui ressort de ces deux jours est celle, impérieuse, de savoir si les lois actuelles protègent suffisamment ou pas du tout les femmes arabes ? La réponse est, sans surprise, l'unanimité faite autour de la convocation d'une réelle volonté politique de lutter contre les violences et les discriminations contre les femmes. Si les textes sont parfois présents dans quelques législations arabes, le rapport à la réalité est tout autre dans le meilleur des cas. De cette législation à la Constitution, le pas est fait et les mouvements féministes arabes s'accordent à revendiquer un amendement des textes à défaut d'une abrogation impossible à satisfaire dans certains pays à l'image du Yémen, de la Jordanie ou encore du Liban ou de l'Egypte. La tentation est pourtant grande à vouloir se contenter du mieux par rapport aux autres, ce à quoi les féministes algériennes refusent de céder. À ce propos, la partie algérienne a proposé, lors de la journée du 9 décembre consacrée à l'atelier des expert(e)s, de travailler sur trois aspects majeurs concernant la discrimination par rapport à la législation algérienne : le code pénal et le monde du travail. Pour le premier aspect, on dégage trois axes importants se rapportant premièrement à des textes en lien avec les affaires de la famille, deuxièmement à des textes sur les violences faites aux femmes et, enfin, à ceux sur leurs droits économiques. Concernant le premier axe, les articles 11 et 08 du code de la famille sont particulièrement ciblés par les mouvements féministes qui les considèrent comme discriminatoires. L'article 11 est lié à l'obligation du tuteur pour la femme, même majeure, pour le mariage et l'article 08 indique que la polygamie existe sous certaines conditions sauf "qu'il existe des stratégies pour contrecarrer la loi comme la validation du mariage coutumier ou le simple fait d'entamer une procédure de divorce qui ouvre la possibilité de contracter un autre contrat de mariage", explique la fondatrice de Fard, Fatma Boufenik. D'autres textes de loi en lien avec les affaires de la famille sont aussi dans la ligne de mire des féministes algériennes, à l'image de l'article 52 concernant le divorce unilatéral pour l'homme, alors que "80% des jugements reconnaissent que ce sont des divorces arbitraires", affirme-t-elle. L'article 66 du code de la famille stipule que la garde des enfants revient à la mère, mais qu'elle perd si elle se remarie, "ce qui n'est pas le cas du père même s'il se remarie", ajoute notre interlocutrice à titre de comparaison entre les droits des hommes et des femmes. Quant à l'axe relatif au code pénal, il est demandé l'abrogation de l'article 266 bis 1 qui incrimine la violence conjugale. Pourtant, et aux yeux des féministes algériennes, ce texte de loi la rend caduque puisqu'il suffit que la victime pardonne pour que les poursuites judiciaires s'éteignent, "seule exception dans le code pénal", souligne la fondatrice de la Fard. Le contexte algérien : des textes de loi à amender ou à abolir L'autre article qui suscite le rejet des féministes est le 326 qui concerne le mariage d'une mineure victime de kidnapping. Si le coupable propose le mariage et que c'est accepté, cela le met à l'abri de poursuites judiciaires. Parmi les propositions algériennes faites au Forum régional sur la lutte contre la discrimination dans les législations, une loi spécifique aux violences faites aux femmes s'inspirant de la convention d'Istanbul qui redéfinit et élargit les formes de violence. Cette convention intervient sur trois niveaux : la prévention, la criminalisation et la responsabilité des Etats en matière de protection des femmes et des filles victimes de violence, "en attendant l'abrogation de ces deux articles", comme le souhaite Fatma Boufenik. Les féministes demandent également l'annulation de l'alinéa 3 de l'article 18 sur le code de la nationalité. Il stipule que la femme algérienne qui épouse un étranger perd sa nationalité si le code de nationalité de ce dernier prévoit de déchoir toute personne qui acquiert sa nationalité. "La situation est différente pour les hommes qui gardent leur nationalité si leur femme est étrangère et rentre dans ce cas de figure", signale Boufenik qui appelle à annuler cet alinéa. L'autre combat des féministes est à chercher dans le fonds de solidarité pour la pension alimentaire, "un texte entouré de brouillard", estime encore notre interlocutrice, qui ajoute que "peu de procédures entamées ont abouti pour en bénéficier". Les associations féministes militent, du coup, pour davantage d'informations et de sensibilisation pour son effectivité. Mais le gros dossier qui cristallise tous les procès de mauvaise intention est bien celui de l'héritage qui a déjà fait engager un débat de société en Tunisie. En Algérie, les féministes n'hésitent pas à évoquer cette question en mettant en exergue le problème de la répartition de l'héritage à travers l'Aceb qui intervient à la mort du mari sans descendance masculine. Ce cas de figure ouvre les droits d'héritage à l'oncle paternel sinon à ses enfants en cas de décès de l'oncle au détriment des filles et de la femme du défunt. Les féministes proposent temporairement de revoir cet aspect de l'Aceb en ouvrant le droit à l'héritage complet pour la veuve et ses filles ou du moins l'usufruit total à la mère et à ses enfants. L'autre axe d'intervention des féministes, en sus de la protection sociale et du droit à la copropriété, concerne l'équité entre les deux sexes dans le monde du travail, se référant à la loi 03/06 de la Fonction publique qui n'évoque pas le principe de l'égalité salariale homme-femme comme cela est stipulé dans le code du travail. Comme propositions, on demande l'introduction d'une définition dans la loi et de prévoir un outil de suivi et d'évaluation, ainsi que de faciliter les procédures pour les poursuites en matière d'inégalité salariale. "Le rapport de l'OIT reproche à l'Algérie de ne pas transmettre des données permettant de vérifier la réalité de cette égalité homme-femme", précise Fatma Boufenik. Pour les associations féministes algériennes et arabes, il est temps d'abroger les articles discriminatoires ou d'abroger les codes du statut du personnel et de proposer un code alternatif civil et égalitaire. Un combat commun, mais des départs différents, selon les législations en place qui suggèrent une stratégie de lutte basée sur un front uni en renforçant le poids du lobbying féminin pour amender les lois et les articles discriminatoires en se référant aux outils et organismes internationaux qui luttent contre les violences et les discriminations faites aux femmes.