Désormais, les Tunisiennes sont autorisées à se marier avec des non-musulmans. La Tunisie progressiste ne cesse d'épater quant aux droits de la femme et le combat pour l'égalité. En juillet dernier, une loi contre les violences faites aux femmes a été adoptée, criminalisant ainsi le mariage d'un violeur avec sa victime. El Watan Week-end revient sur toutes ces lois et aborde le sujet avec des féministes tunisiennes. L'annonce a été faite par le président tunisien, Béji Gaïd Essebsi, lors de la célébration de la Journée nationale de la femme, le 13 août dernier. Désormais, les Tunisiennes ont le droit de se marier avec des non-musulmans, ce qui n'était pas le cas auparavant. Si certaines d'entre elles arrivaient à imposer leur mariage au prix d'une batille juridique, les autres se trouvaient souvent dans l'obligation de fournir un certificat de conversion à l'islam de leur futur mari. Mais ce qui constituait l'ambiguïté de cette interdiction, c'est qu'elle n'était appliquée qu'aux femmes, ce qui la rendait discriminatoire, selon une universitaire juriste, qui a tenu à garder l'anonymat pour des raisons professionnelles, et qu'on a rencontrée à Hammamet fin septembre dernier. «Les officiers de l'état civil tunisiens avaient l'interdiction d'enregistrer tout mariage entre une femme tunisienne et un homme non-musulman sans qu'il n'y ait d'interdiction similaire pour les hommes tunisiens qui pouvaient épouser des femmes non-musulmanes sans le moindre souci», s'indigne-t-elle. Les obstacles des étrangers ne se limitaient pas seulement à cette contrainte, car «ces derniers devaient aussi passer un test et accepter de recevoir un nom arabe», indique la juriste. La circulaire du 13 novembre 1973 qui interdisait cette union a été, donc, abrogée le 14 septembre dernier. Mais si la nouvelle a été accueillie comme une victoire par les féministes en Algérie, elle reste, du moins, une sorte d'effet d'annonce en Tunisie. Car ici, c'est plutôt la loi sur la réconciliation économique et financière qui préoccupe la population tunisienne. Abrogation En Tunisie, elles sont près de 9000 personnes à attendre l'adoption de la loi sur la réconciliation économique et financière qui amnistiera, selon son projet, tout agent public ou assimilé poursuivi pour des actes de malversation financière et d'atteinte aux finances publiques et offrira la réconciliation à toute personne ayant tiré avantage d'actes de malversation financière et d'atteinte aux finances publiques. En gros, «c'est une loi qui amnistiera tout personne ayant tiré bénéficie de l'argent de l'Etat du temps de Benali ou ceux qui ont été poursuivies précédemment pour détournement ou autres délits d'ordre économique et financier», explique un activiste tunisien, rencontré à Tunis. Donc, plus personne ne se sentira redevable envers l'Etat, ce qui a provoqué l'ire de la rue. Un mouvement populaire s'est même constitué pour contrer ladite loi avant son adoption, le 13 septembre dernier, soit une journée seulement avant l'abrogation de l'ancienne circulaire par l'APN tunisienne ou l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), comme on l'appelle ici. Baptisé «Manich m'sameh» (Je ne pardonne pas), ce mouvement lutte aujourd'hui pour l'abrogation de la loi sur la réconciliation. «Le problème est que la loi sur la réconciliation a été adoptée par l'ARP une journée avant la circulaire, ce qui peut expliquer probablement la non-médiatisation de cette dernière», confie Marwa Louati, féministe qui active aussi au sein du Forum économique maghrébin et qui travaille entre autres sur la question de l'égalité des genres. La circulaire était-elle juste un effet d'annonce, comme expliqué par certains ? Ou serait-elle une réelle revendication féministe qui arrive après un long combat ? Gravissime Une journaliste rencontrée lors au Forum sur l'immigration subsaharienne, organisé le mois dernier à l'hôtel Africa, à Tunis, précise : «L'abrogation de la circulaire n'a jamais été une revendication de la rue. Les gens, comme les associations, n'ont pas vraiment réagi à son annonce car ils savent pertinemment que le pouvoir tunisien ne cherchait en réalité qu'à détourner l'attention de l'opinion, notamment internationale. Il voulait juste tenter de faire oublier le scandale de l'adoption de la loi sur la réconciliation économique et financière, qui reste un événement majeur et gravissime», explique-t-elle. Nawel est une jeune féministe qui vit dans une ville de l'intérieur en Tunisie. Elle dit que même si elle partage l'avis de la journaliste concernant l'entendu politique de la décision, elle reste, tout de même, certaine que l'abrogation de la circulaire de 1973 «est synonyme d'une grande avancée pour les luttes pour les droits de la femme et pour l'égalité des sexes en Tunisie et au Maghreb». «L'abrogation de la circulaire 73 ne fait que corriger une injustice sociale et une incohérence légale. Socialement, beaucoup de Tunisiennes sont déjà mariées à étrangers non convertis. Elles arrivaient à contourner la loi en se mariant à l'étranger et en vivant hors de Tunisie. Mais elles rencontraient des problèmes administratifs dès qu'elles rentraient au pays car leur mariage n'était pas reconnu par les autorités tunisiennes et parfois même leurs enfants ne l'étaient pas. Pour l'autoriser, les conjoints acceptent, parfois, de se convertir de manière protocolaire à l'islam. Mais ce n'était pas une solution finale. Son annulation constitue une véritable avancée, quoique logique car fondée sur une réalité sociale de plus en plus répandue», assure-t-elle. Polygamie Et Nawel de prévenir : «Obliger un non-musulman à se convertir relève de l'hypocrisie sociale. Mais il faudra attendre encore pour vérifier que cette annulation est réellement appliquée. Il est encore tôt pour juger de la portée de son application sur le terrain.» Pour mieux comprendre le contexte juridique de la loi et son application, la juriste explique : «Cette décision permet de rétablir la primauté de la Constitution sur les textes qui lui sont inférieurs et qui malgré leur anticonstitutionnalité demeuraient applicables. La Constitution post-révolutionnaire promulguée en 2014 avait apporté des avancées considérables en matière de consécration des libertés et droits fondamentaux dont la liberté de conscience, mais aussi l'égalité homme-femme», indique-t-elle. Comme l'explique si bien la juriste, il faut dire que la femme tunisienne dispose, aujourd'hui, du cadre légal le plus progressiste du monde arabe notamment en matière de statut personnel. Il faut savoir que la polygamie est strictement interdite par la loi tunisienne et elle est même réprimée. La répudiation n'existe plus. Le droit de demander le divorce étant reconnu de manière similaire aux deux conjoints. La Tunisie a même adopté, le 26 juillet dernier, une loi intégrale pour la lutte contre les violences faites aux femmes dont les principales avancées consistent notamment en l'annulation d'un article du code pénal qui permettait à un violeur d'échapper aux poursuites s'il épousait sa victime. Egalité Marwa explique que le projet de cette loi a été, d'abord, écrit par la société civile tunisienne qui l'a défendu auprès des membres de l'ARP. «Dans cette loi que je trouve très progressiste et qui vient après un long combat des associations et des féministes en Tunisie, elle a, en gros, rendu criminel le mariage d'un violeur avec sa victime, ce qui n'était pas le cas auparavant. Le sens même de la violence envers la femme a changé. Maintenant, on parle de violence matérielle, sexuelle, morale et physique. Avant, pour reconnaître un acte de violence, il fallait avoir des séquelles physiques. De plus, quand on parlait de violence, on évoquait seulement la femme, mais aujourd'hui on parle aussi de l'enfant, notamment quand il s'agit d'indemnisation. Il est important aussi de dire que la loi évoque enfin la femme présentant un handicap et parle de ses besoins spécifiques», explique-t-elle. Il est vrai que beaucoup d'avancées ont été enregistrées en Tunisie par rapport aux droits des femmes, mais il n'en demeure pas moins que «l'égalité parfaite n'est pas encore atteinte», regrettent nos interlocutrices. Marwa cite l'égalité des genres et «regrette que la loi n'a pas encore atteint le stade de parler des LGBT par exemple». Elle dit que les lois existent en Tunisie, mais ce qui manque jusque-là, ce sont les mécanismes qui permettent leur application. «Il est nécessaire de changer les mentalités, notamment dans le milieu familial. C'est un grand travail qui nous attend. La pression sociale l'emporte parfois sur la loi», avoue-t-elle. L'égalité entre la femme et l'homme a été justement le sujet de la même déclaration faite par le Président tunisien. Malgré toutes les avancées, la question de l'héritage demeure non réglée. Le 13 août dernier, Beji Caïd Essebsi a évoqué aussi la nécessité de revoir la loi successorale afin de garantir l'égalité entre frères et sœurs dans le partage de l'héritage, mais sans plus. En Tunisie, la plupart des femmes subissent les violences dans le milieu familial. La représentativité reste très loin d'être satisfaisante pour les féministes. Avant, l'ARP comptait huit ministres femmes. Elle en est à trois seulement aujourd'hui. 20% des chefs d'entreprise sont des femmes. «Malheureusement, 99% des adhérents des associations féministes sont des femmes. L'homme doit aussi s'impliquer. Oui, nous avons réussi à avoir plusieurs acquis, mais si on est amenées à faire des comparaisons, on le fera avec les pays avancés et non le contraire. L'idéal pour moi, c'est de voir les humains tous égaux sans aucune discrimination», espère Marwa.