En l'absence d'analyses, ces assassinats demeurent des crimes "ordinaires". Le premier jour du Ramadhan, une femme a été assassinée par son mari dans la commune d'Ouled Yaïche, à Blida. Elle avait 36 ans et laisse derrière elle quatre enfants. C'est le 15e féminicide enregistré depuis le début de l'année. Un meurtre qui vient confirmer la tendance générale des féminicides en Algérie, selon Narimene Mouaci, féministe et initiatrice du site "feminicides-dz.com", en compagnie de Wiame Awres, qui veut que la moitié des assassinats soit commise par un partenaire intime, un (ex)conjoint ou (ex)fiancé. Une propension puisée des statistiques de 2020, une année qui a connu 54 féminicides recensés par le site en question, en l'absence de chiffres officiels. Une première lecture qui suggère un travail analytique des données pour les années 2019 et particulièrement 2020, explique Narimene Mouaci, qui précise que l'analyse de ces données sera bientôt disponible. Elle ajoute que d'autres projets sont en cours pour compléter le travail : "Nous travaillons sur le plan juridique, du côté prévention et journalistique pour 2022 et voir comment les journalistes traitent de la question des féminicides sur le plan du vocabulaire, de l'imagologie..." Evoquant l'action menée à travers le hastag "nous avons perdu une des nôtres", elle estime qu'elle a au moins le mérite d'avoir fait connaître le mot féminicide, affirmant que "donner un nom à un fait existant, c'est la première chose pour pouvoir lutter contre". Et depuis, "des personnes, des experts de différents domaines nous ont contactés pour proposer leur aide, que ce soit dans l'analyse des données ou pour améliorer le projet", indique notre interlocutrice. Elle ajoute, en outre, certains axes du projet, à l'image de la mise en place de listes des centres d'écoute, d'associations ou encore de centres d'hébergement et les publier sur le site pour faciliter à une femme victime de violences de trouver l'association ou le centre d'hébergement le plus proche de chez elle. Des numéros utiles seront également mis à leur disposition pour les contacter en cas de nécessité. Sur un autre plan, Narimene Mouaci parle d'une liste "des lois féminicides, des lois qui ne protègent pas les femmes ou qui les exposent davantage au danger" à établir avec l'aide d'avocats. Et pour cela, elle dit s'inspirer "des féministes palestiniennes qui travaillent sur la question des féminicides depuis 15 ans", mais aussi de l'expérience des pays de l'Amérique latine, "les premiers à avoir intégré le mot féminicide dans les lois", et de l'Espagne, "qui a commencé en 2004 une lutte ouverte contre les violences faites aux femmes et les féminicides". Des expériences qui ne sont pas forcément compatibles avec l'Algérie, constate-t-elle, mais qui restent importantes et utiles. "Nous ne pouvons pas les prendre et les appliquer directement chez nous avec les spécificités de l'Algérie, son contexte culturel, social et juridique." Et pour lutter contre ce phénomène, elle préconise d'analyser la nature des féminicides "chez nous et connaître nos spécificités pour pouvoir lutter effectivement contre". À ce propos, elle souligne la forte proportion des égorgements de femmes en Algérie, "ce qui n'est pas le cas dans tous les pays", remarque-t-elle, en prenant l'exemple de la France où les femmes sont assassinées sous les coups de leurs compagnons "mais pas forcément par égorgement". Quant aux réactions suscitées par ces meurtres de femmes dans les réseaux sociaux, elles vont de la culpabilisation pure et simple de la victime à la recherche d'excuses pour le passage à l'acte. "Nous sommes éduqués à ce que la femme soit toujours une coupable chez nous. Si elle se fait violenter, c'est certainement qu'elle a fait quelque chose. Si un homme la viole, c'est qu'elle l'avait cherché, et si elle est assassinée, c'est aussi qu'elle a fait quelque chose", regrette Narime Mouaci, qui s'indigne de cette mentalité. Optimiste, elle espère que "les choses finiront par changer chez nous grâce à la lutte et à un travail permanent".