Le ton du médiateur de la République et les propositions qu'il formule tranchent avec le discours officiel dominant. Il privilégie la voie de la raison et de l'apaisement dans la recherche de solutions aux mutiples crises qui enserrent le pays. " L'Algérie traverse une période critique, aux plans interne et externe, menaçant la stabilité des institutions et la paix sociale. La manifestation populaire nationale du 22 Février 2019, qui s'est caractérisée par un sens de maturité politique ayant étonné le monde, a rappelé la nécessité de projeter notre nation sur un avenir de justice sociale et de respect des libertés." Le propos n'est ni celui d'un opposant patenté ni celui d'un acteur de la société civile, mais de l'ex-président de l'Assemblée populaire nationale Karim Younès, aujourd'hui ministre d'Etat et médiateur de la République. Ce constat d'un commis de l'Etat tranche singulièrement, par sa tonalité, avec les euphémismes souvent usités par les responsables pour décrire une situation pour le moins critique et porteuse d'incertitudes. Car il faut bien le dire, c'est la première fois qu'un responsable de ce rang met le doigt dans la plaie en tirant, en termes à peine voilés, la sonnette d'alarme sur les dangers qui guettent la paix sociale au regard de nombreux indicateurs autant politiques qu'économiques. "L'absence de visibilité épidémiologique sérieuse sur le devenir à plus ou moins long terme de la pandémie de Covid-19, l'incertitude relative au marché international des hydrocarbures et la dévaluation conséquente de la monnaie nationale, avec ses répercussions sur les prix des produits de consommation de base, exposent notre pays à des difficultés futures de gestion de la dégradation sociale", met-il en garde. Face à cette situation, Karim Younès, dont on présume, — compte-tenu des responsabilités qu'il a eu à assumer par le passé et dont la dernière en date, celle de la présidence de la très contestée commission de dialogue ayant abouti à l'organisation de l'élection présidentielle du 12 décembre 2019 — qu'il répercute une certaine approche de sortie de crise qu'il souhaite partager, ne propose rien que moins qu'un front national de solidarité. "Cette situation inédite nous impose de prioriser la recherche de solutions consensuelles (...) La période que nous traversons ne laisse pas de place à la confrontation politique ni à la compétition des programmes partisans. Elle appelle à la mobilisation de toutes les énergies, afin d'éviter l'écroulement social aux conséquences imprévisibles, voire dramatiques pour toute la société, sans distinction d'appartenance idéologique." On est loin du discours louant une démarche arrêtée unilatéralement. D'ailleurs, Karim Younès ne fait allusion ni au prochain rendez-vous électoral ni à quelque autre démarche politique. En appelant à transcender les clivages dans cette séquence difficile, il suggère que le pays ne peut faire l'économie de compromis entre tous les acteurs politiques et sociaux, encore moins l'ouverture d'un véritable dialogue. Ce n'est probablement pas sans raison, convaincu que les défis, la crise multidimensionnelle et la complexité de la situation dans laquelle ploie le pays appellent une adhésion populaire, qu'il plaide l'ouverture d'espaces de débats. Mais s'il ne fournit aucun détail sur les mécanismes ni sur les modalités de ce débat, en évitant sciemment d'évoquer les turbulences actuelles et les responsables de l'impasse, il laisse, toutefois, entendre qu'il n'existe pas d'autre issue sans la recherche d'un consensus, un impératif dont il convient de rappeler qu'il est plaidé aussi par des acteurs politiques, comme le FFS. Reste, cependant, la question de fond ? Karim Younès, dont le rôle dans la commission de dialogue a été fortement critiquée, parle-t-il en son nom, en sa qualité de médiateur, ou exprime-t-il une approche souhaitée par quelques segments du pouvoir ? Mais comme souvent, les propositions ne valent que par la volonté politique qui les sous-tendent. On se rappelle que Karim Younès, en chapeautant la commission de dialogue, avait appelé à des mesures d'apaisement. Un appel rejeté ouvertement par le défunt chef d'état-major de l'armée. On connaît la suite.