Trois ans jour pour jour — 15 octobre 2002 — après la réélection de Saddam Hussein à 100% des voix, les Irakiens voteront pour la nouvelle Constitution sur fond de compromis. Favorables à ce texte de loi qui leur permettra de quitter définitivement le statut de sous-citoyens, auquel ils ont été réduits durant le règne de Saddam Hussein, chiites et Kurdes ne cessent de faire des concessions aux sunnites dans l'espoir de les empêcher de voter tous contre le document. En effet, détenteurs du pouvoir de blocage de ce projet de Constitution, par un simple “non” aux deux tiers dans l'une de leurs trois circonscriptions, les sunnites font l'objet d'une attention particulière depuis quelques jours. Les principaux dirigeants sunnites sont courtisés de partout, voire l'objet de terribles pressions, notamment américaines, pour adhérer à cette démarche. Bien qu'ils aient obtenu l'assurance de réviser, après l'élection, les points qu'ils contestent dans la Constitution proposée aux électeurs, les sunnites demeurent très partagés sur la question. Si la plus importante formation politique sunnite, le Parti islamique, s'est dit convaincue par les garanties données en appelant à voter “oui”, nombreux sont ceux qui refusent de céder. Soutenu par Washington, le pouvoir actuel irakien fait le forcing pour faire passer le projet. Tous les moyens sont bons pour arracher l'assentiment du peuple. La distribution d'exemplaires de la Constitution aux ménagères est accompagnée de rations de riz et de sucre, dans les centres d'approvisionnement du gouvernement. L'on tente de convaincre ceux qui n'ont pas de culture politique par l'espoir d'une vie meilleure. La mission est d'autant plus complexe qu'au sein de la communauté sunnite, nombreux sont ceux qui n'acceptent pas de perdre la place prépondérante qui était la leur pendant les dernières décennies dans la société irakienne. L'adoption de cette Constitution, prévoyant le fédéralisme en Irak, suscite chez les sunnites la peur d'être les grands perdants de ce référendum. Dépossédés jusque-là des leviers de commande du pays, depuis la chute du régime de Saddam Hussein, ils redoutent de se retrouver réduits à des rôles de simples comparses. C'est d'ailleurs ce qui devrait arriver si jamais le texte reste en l'état actuel. “Les Arabes sunnites seront clairement les perdants si le document est adopté”, affirment une analyse d'un groupe d'experts de l'International Crisis Group. Ce rapport prédit également l'émergence d'une “super région, composée de neufs provinces à majorité chiite, au sud de Bagdad”. Conscients de cela, les sunnites, qui se déclarent favorables au fédéralisme, s'opposent, cependant, à la version proposée dans la Constitution. “Nous ne sommes pas opposés au fédéralisme mais nous sommes opposés à celui inscrit dans le projet de texte”, affirme Ayad Sammaraï, le porte-parole du Parti islamique, la principale formation politique sunnite du pays. Il insiste sur la gestion des ressources et émet le vœu qu'elles soient “gérées au niveau fédéral et destinées à l'ensemble des Irakiens”, pour que sa communauté ne se retrouve pas totalement démunie. Outre leur peur des conséquences de la nouvelle Constitution, les sunnites sont aussi confrontés au problème de la violence avec la recrudescence des attaques et attentats à l'approche du référendum. Abou Moussab Al Zarqaoui, le chef de la mouvance Al Qaïda en Irak, et les autres groupes rebelles, ont promis l'enfer à ceux qui se rendront aujourd'hui dans les bureaux de vote, particulièrement dans la région sunnite. Les sanglants attentats de ces derniers jours sont là pour montrer la détermination des insurgés à aller jusqu'au bout de leur logique. S'il ne fait aucun doute que le “oui” sera largement majoritaire chez les Kurdes au Nord et chez les chiites au Sud, le suspense planera, par contre, jusqu'au bout dans les trois circonscriptions à majorité sunnite. Une chose est sûre, ce 15 octobre 2005 restera une date qui marquera l'histoire de l'Irak, quel que soit le résultat du référendum, parce que les conséquences seront, dans les deux cas, d'une extrême importance pour l'avenir du pays. K. ABDELKAMEL