Par : Dr Mohamed Maïz Universitaire Le constat n'est, certes, pas généralisable, mais les administrations hospitalières ne sont pas toutes exemptes de reproches. Engluées, pour nombreuses d'entre elles, dans l'immobilisme d'une gestion bureaucratique aux conséquences visibles sur le fonctionnement technico-administratif des structures qu'elles dirigent, elles imputent à leur tour l'amoncellement des insuffisances à la faiblesse des dotations annuelles et à la rigidité des procédures." De lourdes carences ont été dévoilées au grand jour par la pandémie de Covid-19. Des déficits en matériel et des lacunes organisationnelles sont apparues. Manque de générateurs et de concentrateurs d'oxygène, manque d'oxygène, manque de lits de réanimation, pénurie de médicaments... La liste des manques et manquements est tellement grande que je ne cite que ces quelques-uns pour ne pas encombrer ma contribution qui va à l'essentiel et qui est une véritable réforme ou plutôt une refonte du système national de santé. Ce constat préliminaire renvoie à la problématique de la place qu'a occupé la santé dans l'échelle des priorités gouvernementales. Il pose, sur un autre plan, la question de la gestion faite des crédits pluriannuels engloutis par les établissements de santé, sans que les résultats correspondent aux attentes. La philosophie qui a prévalu en matière de politique de santé catégorise et hiérarchise de facto les malades sur la base de critères contraires au principe d'égalité d'accès aux soins. Ainsi, la santé des hauts responsables de l'Etat et de leurs familles et copains a été jugée trop précieuse pour être confiée à la médecine nationale. Les prises en charge pour soins à l'étranger qui leur sont délivrées sont un aveu implicite de l'idée personnelle que se font les décideurs du niveau des prestations nationales de santé publiques et privées. Et du degré de confiance dont jouissent à leurs yeux nos praticiens. Le désaveu est poussé l'outrage. Les transferts sont ordonnés et prescrits par le secteur même de la santé, amené à admettre, à son corps défendant, son inaptitude à guérir les patients de haut rang, pour ne se limiter qu'au deuxième collège. Une autre anomalie est celle de la santé militaire. Théoriquement ouverte aux seuls personnels de l'armée et leurs ayants droit, elle accueille à titre dérogatoire les notabilités civiles du système. Le mélange des genres n'étant pas de mise, aussi ouvrent-elles droit à un régime spécial. Isolées et installées dans des blocs à part, elles bénéficient sélectivement de conditions de prise en charge médicale et de séjour hospitalier spécifiques. Truffé de distorsions et d'inégalités du fait d'un service à la carte servi sur profil en fonction de la catégorie sociale et professionnelle du malade, le secteur sanitaire a grand besoin d'une réforme profonde imprégnée d'un souci égalitaire dans l'accès à des soins de qualité à tous et en tous lieux. Dans ses principes fondateurs, celle-ci devait veiller à extirper les iniquités et les insuffisances de tous ordres qui le caractérisent. Le privilège des soins à l'étranger dont jouissent en catimini les super-citoyens de la sphère politique et administrative, l'exclusion sociale pratiquée dans la sphère de la santé militaire et la discrimination catégorielle qui a cours dans les cliniques privées sont des aspects suffisamment sensibles pour être pris en considération dans une optique de refondation radicale. Ils devraient inciter à repenser la philosophie et l'architecture d'un nouveau système de santé, l'interconnexion fluidifiée de ses composantes structurelles, de même que leur renforcement sérieux en moyens humains et matériels, si le souci est celui de l'amélioration et de l'homogénéisation qualitatives dans la réponse qui se doit d'être uniforme à la demande de soins formulée par la population. La réforme du secteur de la santé devrait être l'occasion d'inaugurer une nouvelle ère dans la reconnaissance de la compétence et du savoir. La priorisation statutaire, matérielle et sociale de l'élite scientifique et technique, et d'une manière générale intellectuelle, sur les spécialistes de la parole que sont les politiques, ainsi que sur les sinécures bureaucratiques de la haute administration, qui émargent en plus au fonds spécial des retraites (FSR), serait un bon début dans la remise à l'heure des pendules. La réforme se devra d'établir, dans le cadre d'un diagnostic global, le constat d'échec de la couverture sanitaire du pays. La défaillance du système de santé à produire une offre de soins de proximité de bonne facture et en tous lieux du territoire national est assez sévère pour être soulignée. L'explication la plus plausible à ce manquement est à rechercher dans la non-priorisation de la sécurité sanitaire lors des arbitrages préalables à l'élaboration des programmes d'investissements, alors que l'embellie financière qu'a connue le pays aurait pu être mise à profit pour développer vigoureusement le secteur de la santé. Les exemples des projets budgétivores de la grande mosquée d'Alger, du centre des conférences du Club des Pins ou encore celui du Disney Land au parc zoologique de Ben Aknoun donnent une idée de ce que fut l'échelle des priorités. Sans compter les milliards de dollars et de dinars de la corruption des projets payés et non réalisés... Sans de réelles perspectives de développement harmonieusement planifiées au plan infrastructurel, humain et scientifique, le secteur de la santé a fini par sombrer progressivement dans les expérimentations macro-sanitaires et la lenteur des réactivités face à l'accumulation des urgences multiples et multiformes du terrain. Ces lourdes insuffisances sont à l'origine d'une préjudiciable stagnation-régression fonctionnelle. On ne peut, par ailleurs, omettre de juxtaposer à côté de ces déficiences la part de la gestion hospitalière dans la sensible dégradation des prestations de santé. Le constat n'est, certes, pas généralisable, mais les administrations hospitalières ne sont pas toutes exemptes de reproches. Engluées, pour nombreuses d'entre elles, dans l'immobilisme d'une gestion bureaucratique aux conséquences visibles sur le fonctionnement technico-administratif des structures qu'elles dirigent, elles imputent à leur tour l'amoncellement des insuffisances à la faiblesse des dotations annuelles et à la rigidité des procédures. Palpables, ces déficiences sont un tout : dégradations du bâti et lapidaires restaurations ; espaces verts à l'abandon ; déficit en moyens d'équipement ; surpeuplement, files d'attente, et mauvaises conditions d'accueil des malades ; pannes récurrentes des équipements d'investigations médicales et de chauffage - climatisation et lenteurs des opérations de réparation ; aspect "souk" des structures sanitaires muées en aires de rassemblement... Malgré ces lacunes qui ne donnent que plus de mérite aux personnels médical et paramédical qui se démènent avec les moyens du bord, on assiste à de paradoxales inamovibilités qui se transforment, dans certains cas, en tremplins à d'étonnantes propulsions. Des longévités permises au détriment de l'obligation de résultat. Il est vrai que la mesure de la performance peut paraître ici accessoire, compte tenu de l'interventionnisme qui régit les modalités d'accès à ces postes de direction. Le rendement relève dès lors d'une appréciation discrétionnaire, en supposant qu'elle existe, tenue de ménager le subordonné pour ne pas avoir à subir de fâcheux retours de boomerang. On le voit, il y a matière à un vaste programme de redressement en profondeur et multidirectionnelle qui dépasse le stade des correctifs, des colmatages et des rafistolages. Une sérieuse remise à plat est des plus indiquées. Les macro-structurations nées des cogitations en vase clos ont à l'évidence montré leurs limites. La réforme attendue est vitale Sur la base d'un nouveau paradigme imposé par l'urgence et l'ampleur de la tâche, il s'agira de donner au secteur de la santé la place et la priorité qui doivent être les siennes. Celles-ci supposent la mise en place planifiée et cohérente, des conditions juridiques, organisationnelles, financières, infrastructurelles et managériales pour qu'émerge un système de santé performant répondant aux normes de la modernité et de l'efficience. Cet objectif requiert une nouvelle philosophie et une nouvelle politique de santé porteuses de réformes structurelles profondes qui pourraient notamment s'articuler autour de : 1- Au plan macro-sanitaire -La mise en œuvre d'un vaste programme de réalisations infrastructurelles dans le double but de désengorger celles qui fonctionnent et d'assurer une couverture sanitaire intégrale du territoire national. -La mise en œuvre d'une hiérarchisation organisationnelle des paliers infrastructurels, favorisant l'automatisation médico-sanitaire des wilayas. -La mise en œuvre des conditions techniques visant à assurer la fonctionnalité et la cohérence relationnelle des différents paliers du système de santé, qui restent à repenser. -La fluidification des relations entre les paliers de la pyramide sanitaire dans la prise en charge des patients. -L'amélioration des performances hospitalières par une budgétisation adéquate et une révision profonde du management hospitalier. La mise en place d'un système national intégré Il s'agirait de s'orienter vers le décloisonnement des sphères de prestations de soins et la dynamisation du secteur privé à travers la généralisation concertée du conventionnement sécurité sociale – structures privées (cliniques, laboratoires, centres d'imageries...). Cette démarche suppose l'allègement des procédures et la réduction des délais de délivrance des prises en charge. 2- AU PLAN MICRO-SANITAIRE -L'amélioration des conditions d'accès aux soins pour une meilleure prise en charge des malades : réception des patients ; durée d'attente des rendez-vous ; informatisation des suivis médicaux ; relations par messagerie électronique ; disponibilité des médicaments ; conditions matérielles et logistiques des séjours hospitaliers. - Systématisation des critères de mesure de la performance en matière de gestion : rendement ; atteinte des objectifs ; proactivité ; anticipation.