«Lady B» dont la traduction française est sortie en octobre est le sixième volume de la série autobiographique de la poétesse et mémorialiste américaine Maya Angelou. On y retrouve l'écriture singulière de cette grande dame des lettres afro-américaines, empreinte de la puissance performative des récits des esclaves dont l'écrivain américaine s'est beaucoup inspirée. Maya Angelou est décédée le 28 mai dernier. Comment devient-on Maya Angelou ? « Il arrive fréquemment qu'on me demande, a écrit l'Américaine dans la préface du sixième tome de son autobiographie consacré à sa mère, comment je suis devenue qui je suis. Comment née noire dans un pays des blancs, pauvre dans une société où la richesse est admirée et recherchée à tout prix, femme dans un environnement où seuls de grands navires et quelques locomotives sont désignés favorablement, comment suis-je devenue Maya Angelou ?» Cette quête de soi est au cœur de la série autobiographique qui a fait sa renommée. Paru en 1969, je sais pourquoi l'oiseau chante en cage est le premier volume de ces mémoires. Sa description à la fois sardonique et distanciée d'une enfance miséreuse dans l'Arkansas et la Californie, à l'ombre du racisme et du Ku Klux Klan, avait bouleversé l'Amérique et fondé la réputation de Maya Angelou comme la conteuse incontournable de l'expérience noire aux Etats-Unis. Sa quête de dignité en tant que femme noire et femme tout court dans une société qui reste profondément machiste, a fait d'elle une militante emblématique de la libération féminine. La vie est un roman Décédée en mai dernier, la vie de Maya Angelou est un roman. Elle était née Marguerite Annie Johnson, à St. Louis, Missouri, fille d'un portier et d'une propriétaire de débit de boissons. Séparée de ses parents et victime de viol à l'âge de sept ans entraînant cinq années de mutisme, elle a connu une enfance difficile, malgré l'amour de sa grand-mère paternelle qui l'a élevée. Mère célibataire à 17 ans, elle a fait les métiers de conductrice de tramways, de cuisinière, d'«effeuilleuse» dans des cabarets pour joindre les deux bouts. Mais ce sont ses talents artistiques qui vont la sauver de la misère et lui permettre de s'affirmer comme femme libre. Consécutivement danseuse, chanteuse, comédienne, elle trouvera sa voie dans l'écriture lorsque sous l'impulsion de son ami James Baldwin, elle s'est mise à écrire. Si ce sont ses chroniques autobiographiques qui l'ont fait connaître, elle a aussi écrit des comédies, des essais, des livres pour enfants et surtout de la poésie. Sa poésie s'inscrit dans la tradition des récits oraux des esclaves dans lesquels le récitatif et la performance sont aussi importants que les paroles. En 1993, Bill Clinton la sollicita pour lire un poème lors de son investiture. Elle écrivit pour l'occasion son célèbre poème «On the Pulse of Morning», qui est un appel à l'harmonie et à la justice sociale au-delà des différences de races, de sexes, d'origines et d'orientations sexuelles. La performance passionnée sur les marches du Capitol Hill de cette égérie des marginaux et des oubliés fit d'elle du jour au lendemain une icône et un témoin privilégié des turbulences de la société américaine. Une série autobiographique Les mémoires de Maya Angelou comptent aujourd'hui six volumes qui racontent les différentes étapes de la vie de l'écrivain, notamment sa vie de mère célibataire, ses amours, sa tournée en Europe dans une production de Porgy and Bess, son séjour au Caire et à Ghana, son retour aux Etats-Unis dans les années 1960 lorsque les combats pour les droits civiques battaient leur plein, ses rencontres avec Malcolm X et Martin Luther King, sa venue à l'écriture. En creux, se dessine le portrait de la communauté noire au tournant des années 1960. Maya Angelou aimait dire que lorsqu'elle s'est lancée dans l'écriture de ses mémoires, elle s'est très vite rendue compte qu'elle n'écrivait pas seulement en son nom, mais aussi au nom du peuple noir opprimé. Elle écrivait à la première personne du singulier, mais se pensait en première personne du pluriel, le «je» renvoyant à un «nous» collectif et inclusif. «Mom & me & Mom» qui vient de paraître en français sous le titre «Lady B», est le sixième volume des mémoires d'Angelou. Il est dédié à la mère de l'écrivain. Ce livre raconte comment Maya et son frère Bailey avaient été réunis avec leur mère à l'adolescence, après en avoir été séparés pendant presque dix ans. Dans l'un des passages les plus poignants du volume, la mère demande à sa fille pourquoi elle ne veut pas l'appeler maman. «Il faut que tu m'appelles quelque chose. On ne peut pas passer une vie entière sans que tu t'adresses à moi. Comment aimerais-tu m'appeler ?» Ce sera «Lady B». «Lady» parce qu'elle était belle et «B» car elle s'appelait Baxter. La mère acceptera d'être adressée par son surnom, mais tout le récit tourne autour du recouvrement progressif par celle-ci de son appellation légitime de «maman». C'était une victoire pour Viviane Baxter, car c'est grâce à son amour qui ne s'est jamais éteint qu'elle a su regagner le cœur des enfants qu'elle avait autrefois abandonnés. Amour libérateur Thématique centrale de Lady B, l'amour est aussi une des réponses à la quête qui a motivé la rédaction de cette série des mémoires. Maya Angelou est devenue Maya Angelou grâce à l'amour qu'elle avait reçu de sa grand-mère qui l'a élevée et de sa mère à laquelle elle s'était réconciliée au sortir de l'adolescence. «Leur amour m'a influencée, formée, libérée», écrit-elle dans la préface du livre. Véritable philosophie de vie, cet amour qui libère était aussi au cœur de la pensée féministe de Maya Angelou, contrairement au féminisme radical qui n'admet pas la nécessité de l'amour. Beaucoup de femmes américaines, de Michelle Obama à Oprah Winfrey, en passant par Hillary Clinton et autres femmes puissantes comme impuissantes de l'Amérique contemporaine se sont reconnues dans le féminisme hors des sentiers battus que la poétesse a incarné. Lors de la cérémonie du souvenir organisée en son honneur en juin dernier à l'université Wake Forest, en Caroline du nord (sud-est) où Maya Angelou avait enseigné, elles étaient venues dire leur dette envers cette «mère spirituelle» pas comme les autres.T. Chanda