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L'Algérie doute
Publié dans La Nouvelle République le 19 - 10 - 2019

Le rejet épidermique de l'avant-projet de loi sur les hydrocarbures, nonobstant les grossières manipulations politiques intéressées dont il fait l'objet, tient de la pathologie. Il est symptomatique d'un corps social malade de la rente et d'un déficit de confiance qui confine à la dépression. L'Algérie doute et le «Hirak» en exprime les angoisses. Aussi réduire le refus d'un projet de loi de cette importance à une opération de propagande oppositionnelle serait se méprendre sur le sens à donner à sa signification réelle. Le pays profond est incertain de tout, après avoir découvert avec stupéfaction l'ampleur inédite de la mise à sac du Trésor public par son ex-classe dirigeante politique, en complicité étroite avec des «Champions» de l'économie, soigneusement choisis, détenteurs de biens tristes records dans le vol et l'escroquerie. Comme jamais auparavant, il y a une urgente nécessité d'affirmer le pacifisme du mouvement social tout en l'incitant à s'extraire des slogans particularistes berbéristes pour qu'il retrouve la force de frappe nationale constructive de ses débuts ; de même qu'il est de la plus haute importance que les forces de sécurité au sens large, exemplaires jusqu'à ce jour dans la préservation de l'ordre républicain, ne cèdent en rien aux nombreuses provocations de toutes natures, y compris internationales qui entraîneraient, à Dieu ne plaise, le pays dans une spirale infernale.
Lorsque les cafés sont à ce point vides et que les bureaux de tabac sont délestés de toutes leurs cigarettes, c'est le signe le plus manifeste que l'Algérien est inquiet. Cette préoccupation sourde est le fruit de plusieurs facteurs. D'abord, la crise frappe de nombreux secteurs : le bâtiment, le commerce, l'industrie, l'ameublement, le textile, la restauration et bien d'autres domaines sont impactés peu ou prou par les évènements politiques. Ensuite, la branche industrielle pétrolière, locomotive de l'économie est à la recherche d'un second souffle et c'est bien là tout l'objet du Projet de loi sur les Hydrocarbures qui vise à relancer la prospection dans l'amont pétrolier et gazier. La Sonatrach inquiète de la morosité de son secteur frappé de la maladie de la courbe de Gauss, décrivant le déclin du rythme de sa production et de ses réserves prouvées, a, depuis plusieurs mois, entamé une campagne de lobbying dans les médias, en anticipation de son nouveau dispositif législatif, aux fins que la situation politique ne retarde pas les décisions qui la concerneraient.
Mais, entretemps le «Hirak» et sa révolution culturelle sont passés par là. Il se trouve que l'avenir de l'Algérie se confond également en grande partie avec celui de la Sonatrach et que le futur du pays se décidera de façon plus démocratique. Dans ces circonstances inédites, la première compagnie publique de la Nation qui assure 98% des recettes en devises, doit apprendre, une fois n'est pas coutume, à composer avec la volonté populaire. Son destin n'est plus entre les mains de ses seuls techniciens de l'arrogance et de la fainéantise, laborantins de la coercition de nos forces productives, partisans éternels de l'élargissement la rente au détriment de notre transition énergétique mais de plus en plus, entre celles de la représentation souveraine et légitime que se donnera le pays dans les semaines, les mois et les prochaines années, dans un processus permanent qu'aucune volonté politicienne ne saura plus jamais subjuguer.
Le débat de la place du secteur des Hydrocarbures et de sa position dominante doit être rigoureusement passé en revue, sans même parler des orientations que la Sonatrach se donne sur le moyen/long terme et de la stratégie qui est la sienne pour accroître l'attractivité du domaine minier du pays. La fin de non-recevoir populaire et celle inédite de la Fédération des Travailleurs du Pétrole, retrouvant enfin le sens de sa tradition syndicale, à l'avant-projet de Loi sur les Hydrocarbures - au-delà des manipulations de l'opposition qui voudrait faire passer l'encadrement du secteur de l'Energie pour des catégories sociales antinationales alors que ceux qui ont directement profité du commerce de l'or noir furent leurs alliés de «l'Etat profond» - doit faire office d'avertissement.
Les adorateurs autistes de la rente auront de plus en plus de mal à se faire entendre par la Nation, même s'ils ont toutes les chances, en dealers invétérés de richesses tombées du ciel, d'imposer leurs vues à un Etat dopé au pétrole comme un drogué peut être dépendant de sa dose mortelle. La réfutation de la légitimité de la rente pétrolière, en tant que socle de l'économie nationale n'est pas simplement imputable à une redistribution de ses dividendes injuste socialement et déséquilibrée territorialement.
La rente contre le «Hirak» Elle a largement dépassé les cercles
d'influence traditionnels de l'opposition fédéraliste à l'action centralisatrice de l'Etat et porte en elle une remise en cause profonde, à l'instar des contestations menées avec succès par les populations du Sahara, de la pertinence d'un modèle rentier dont les inconvénients dépassent aujourd'hui les avantages. C'est là, l'une des orientations les plus fécondes du «Hirak» qui est en train de réussir le tour de force de réaliser la convergence des luttes sociales du Nord et du Sud du pays autour des questions liées aux Hydrocarbures malgré le régionalisme dont est porteur le mode de production rentier. Ainsi, le mouvement social perçoit dorénavant la rente pétrolière comme la principale barrière à la démocratisation en profondeur du régime politique bien plus que ne saurait l'être une ANP ne pouvant guère tirer à vue sur la puissance des changements à l'œuvre qui traversent de part en part sa composante humaine.
En effet, la maturation de la société algérienne, se reflète également sur le plan sociologique, dans son encadrement militaire et judiciaire, exprimant autant que pour le «Hirak», une nouvelle posture culturelle dont le pacifisme et le légalisme ne sont que quelques facettes des nouvelles attitudes que le mouvement social et les corps constitués ont en partage. Ainsi, la société civile, à la découverte bouillonnante d'elle-même et de ses nouveaux territoires de la conquête démocratique et la superstructure étatique à la recherche d'une judiciarisation systématique de sa gouvernance ainsi que de ses actes politiques, préalables indispensables à sa modernisation puis à sa démocratisation inéluctables, ne pourront établir de points de convergences à leurs déploiements respectifs que dans la séparation vigoureuse des grandes fonctions régaliennes de l'Etat.
A contrario, le système de chaperonnage économique de la rente, nourrissant les dérives autoritaires d'une nomenklatura bureaucratique vénale tend, au contraire du fil naturel de l'évolution sociale de notre peuple marquée par des différenciations durables et fécondes, à contraindre Société et Etat, à la confusion des pouvoirs régaliens pour des raisons relatives à l'économie politique du pétrole et à la soumission éternelle des rentes différentielles aux plus-values engrangées par l'économie Monde. Ce sont ces contradictions précises qui constituent le nœud gordien de la crise en Algérie et de leurs résolutions progressives, dépendra son dépassement.
Les solutions existent et furent adoptées avec succès sous d'autres cieux, en Malaisie ou en Norvège et s'appliquèrent à stériliser les effets de la rente sur le reste de l'économie et… de la politique. Cela peut se réaliser par une réforme fiscale intelligente délaissant les taxes sur le travail dans un pays qui souffre tant du chômage de sa jeunesse, pour ne se concentrer que sur celles relatives à l'activité. Et comme l'activité est une fonction linéaire de l'énergie, nous tenons là un instrument très efficace pour la réforme aussi bien énergétique qu'économique. Il se trouve aussi que notre valeur de l'unité énergétique est l'une des plus faibles du monde, ce qui nous permet d'envisager les voies d'un chemin critique de la résorption graduelle et déterminée du déficit budgétaire en même temps que la réorientation féconde de l'économie dans une projection post-rentière en mouvement. Mais ces routes ne pourront être tracées que par des institutions politiques suffisamment légitimes pour s'imposer non seulement à l'action économique mais aussi au corps social dans son ensemble.
La démocratie, c'est la transition énergétique
On comprend donc, qu'au point où nous en sommes, les réformes économiques dont le cœur doit être constitué de mesures menant à pas forcés à la transition énergétique, ne peuvent se réduire à des décisions technocratiques. En réalité, la question relève de la volonté politique, expression ultime et vivante d'une posture sociale culturelle rénovée à la rente qui se manifeste dans le réaménagement des rapports de forces dont est issu en grande partie l'Etat algérien. En l'absence d'une bourgeoisie historique, décapitée par le colonialisme, capable de comprendre immédiatement son intérêt de classe sur le long terme, c'est le «Hirak» qui s'accapare de l'intelligence caractéristique d'un mouvement social déterminé historiquement pour se positionner de facto comme le centre nerveux des évolutions futures des trois forces au travail qui articuleront fondamentalement le pays pour de très nombreuses années.
La première force est en relation avec l'exploitation des hydrocarbures dans ses sphères de la production, de la transformation et de la distribution. Elle est constituée de l'ensemble des cadres et des entreprises du secteur de l'Energie conduite par le cœur de l'impulsion politique souveraine, qui est en Algérie un complexe bureaucratico-militaro-présidentiel en raison d'une histoire combattante qu'il n'est guère utile de rappeler. Cette première force a vu sa substance la plus impliquée dans le commerce de la rente pétrolière s'effondrer sous les coups de boutoir du «Hirak» mais bien que diminuée, elle reste à la conduite des affaires du pays, car nécessité faisant loi, l'essentiel de nos revenus en dépendent. La seconde force est la bureaucratie étatique à ne pas confondre avec ses institutions. Elle s'exprime dans les décisions bureaucratiques et juridiques de la puissance publique. C'est le maillon faible du système. Elle sera l'enjeu féroce d'une lutte à mort entre les logiques anti-rentières poussant à sa modernisation et les attitudes conservatrices menant à son recroquevillement.
L'avant-projet de Loi sur les Hydrocarbures mis sur le devant de la scène par la première force est l'archétype du pilonnage auquel la bureaucratie rentière devra faire face. Dans un contexte de dépréciation tendancielle des rentes tant en volumes qu'en valeur, l'Etat sera de moins en moins enclin à compter sur les recettes pétrolières et de plus en plus intéressé, ne serait-ce que pour entretenir sa pléthore de fonctionnaires, à concéder un certain nombre de droits à ses… contribuables dont il découvrira petit à petit l'intérêt au fur et à mesure que l'assiette de l'imposition hors hydrocarbures s'élargira. De ce point de vue, la fiscalisation de la transition énergétique est un formidable accélérateur du basculement de la bureaucratie vers le «Hirak» et l'on comprend pourquoi elle prend tant de retard dans notre pays lorsque nous en transcrivons les conséquences politiques.
Est-ce dû au plus grand des hasards que cela soit le ministère de l'Energie qui contrôle pointilleusement la transition énergétique alors qu'elle devrait être chapeautée par le ministère des Finances ou mieux encore par un ministère d'Etat de la Transition Energétique et de la Réforme Fiscale ? La troisième force réside dans la puissance littéralement désarmante du pacifisme du mouvement social qui est à la mesure de la détermination de son engagement historique.
Il nous rappelle immédiatement la lente résistance pacifique de notre paysannerie face à la dépossession coloniale de ses terres. Partout où des Algériens détenaient des titres de propriétés, les ventes se faisaient uniquement entre Arabes. Partout où le colon vendait une propriété qui lui était revenue par le droit de la force, notre paysannerie patiemment la rachetait par la force du droit de la propriété. C'est cette obstination paysanne de la résilience pacifique qui est la marque mentale du «Hirak». Elle vient des profondeurs de notre Nation. Si l'Algérie est effectivement dans une période de doute face à une situation de grande complexité qui ne peut se résoudre que sur une période de plusieurs années, les qualités anthropologiques instinctives de son peuple la conduiront avec certitude vers des solutions de grande audace.


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