Nous commémorons ce 17 mai, la date du décès de Yamina Mechakra, survenu en 2013. Un prix littéraire en son nom a été institué en 2018, lors des 1res «Rencontres annuelles Méditerranée-Afrique des jeunes écrivaines» (Ramaje), décerné pour sa première édition en janvier 2019, puis il a disparu subitement dans l'indifférence totale. Il y a beaucoup d'interrogations et beaucoup d'amertume face à ce manquement à la mémoire d'une écrivaine qui a marqué notre littérature et même notre mémoire collective. Yamina Mechakra mérite grandement un tel honneur. Or, quatre ans après cette première édition du Prix littéraire «Yamina Mechakra», c'est un silence implacable la concernant. Aucune information n'est venue répondre à notre curiosité, aucun appel de textes, aucun jury installé, aucun communiqué pour expliquer pourquoi ce Prix a rejoint l'oubli en emportant avec lui Yamina Mechakra. Le rideau a juste été baissé sur Yamina Mechakra, l'excluant de notre paysage littéraire et gommée de notre mémoire factuelle. L'auteure auressienne, native de Meskiana dans la wilaya d'Oum-El-Bouaghi, était psychiatre et écrivaine des plus essentielles de notre littérature. Oubliée peut-être, mais méconnue certainement pas. Son roman La grotte éclatée, édité aux éditions Enag en 1979 et préfacé par Kateb Yacine, détient une longévité dans les ventes qui ne dément pas son succès. Son autre roman Arris, sorti en 1999 dont le titre est le nom d'une ville des Aurès, est aussi le prénom du fils de l'héroïne de La grotte éclatée. Mechakra portait en elle beaucoup de tourments, de blessures, une santé fragile, physiquement et mentalement, selon ses propres aveux, ce qui l'avait empêchée de jouir pleinement de ses activités créatrices. Elle a commencé à écrire très tôt, vers l'âge de neuf ans, en tenant un cahier-journal sur la guerre. De ses premières inspirations, un roman a vu le jour, elle l'avait intitulé Le fils, elle avait douze ans. A dix-neuf ans, elle écrit La grotte éclatée. Hélas, comme elle le disait elle-même « les gens s'imaginent que je me suis tue. Or, je n'ai pas cessé d'écrire, mais j'écris et je perds. Je n'ai pas la chance de Kateb Yacine qui a eu Jacqueline Arnaud qui a sauvé et fixé ses textes transhumants «. Elle poursuit : « Je viens de publier Arris et j'en ai publié qu'un dixième. À l'origine, Arris fait 400 pages, et la mythologie d'Araki incluse dans le roman 120 pages. « Yamina Mechkra s'en est allée sans avoir reçu la moindre reconnaissance de son vivant. Un prix était venu nous réconcilier avec cette mémoire incrédule... mais pour finir, j'emprunte cette phrase à Arezki Metref « Poétesse, ce qu'elle a écrit, ce qu'elle a crié, ne ressemble à rien d'autre de connu jusque-là. «. C'est d'autant vrai, car La grotte éclatée demeure un classique, un legs des plus puissants que nous avons hérité de sa part. Un roman énormément lu, commenté, analysé, étudié en Algérie et à l'étranger, surtout dans les milieux universitaires. Par sa construction fragmentaire, sa prose poétique, il nous renvoie à Nedjma de Kateb Yacine. Il y a notamment cette métamorphose des sentiments alliant folie et certitude, souffrance et plénitude, cette quête de soi à travers la figure maternelle de la terre-patrie. La Grotte éclatée reste l'un des meilleurs romans écrits par une Algérienne. Un texte en prose, en souffrance avec en trame une histoire où s'entremêlent des cris, des combats, l'amour et la folie. Yamina ressemble à son écriture, écorchée et douloureuse. Elle ressemble à son pays avec ses crêtes escarpées, ses montagnes séculaires, ses légendes et bravoures. Elle enjambait ces hauts lieux immaculés, ces sommets purs, impénétrables ; l'Ahmar Khadou, Djebel Lazreg, Djebel... de cet Aurès qu'elle n'a jamais cessé d'écrire. Elle y a puisé sa force créatrice, et son verbe prosaïque. Yamina Mechakra mérite de revenir parmi nous.