Mosta RP. C'est ainsi que l'on appelle la Recette Principale d'Algérie Poste de la wilaya de Mostaganem. Le vieux bâtiment a beaucoup de choses à raconter et Dieu sait qu'il en a vu et entendu des choses. Jeudi 27 ramadan 1430, 17 septembre 2009. Une journée particulière pour les Musulmans. C'est la veille de la nuit céleste. Leïlat El Qadr. Une nuit bénie. Il était 21 heures 30 minutes quand les immenses portes s'ouvrirent devant une foule chauffée à blanc. Ici, on ne pardonne pas. Il y a risque de piétinement en cette veille de l'Aïd. Les femmes, les enfants et les vieillards comptent pour des prunes. Impossible de vous frayer un chemin. Près de trois cents personnes repus et bien en forme vous empêchent de vous frayer le chemin salutaire pour acquérir de quoi payer les dernières grosses dépenses de cette année 2009. Une dernière virée aux guichets de M. Benosmane Bendehiba, le boss de la Recette Principale depuis 2002. A son commandement les machines à sous tous types confondus se mirent en branle. Les coffres-forts, les compteuses de billets, les claviers des terminaux d'ordinateurs, les imprimantes pour les avoirs, les cachets, les griffes, les dateurs, les distributeurs de billets… C'était « côté cour ». Le côté que ne voient pas ceux qui n'ont pas envie de connaître les tréfonds de l'institution que dirige M. Benosmane d'une main de maître. Côté jardin, la belle façade de la grande institution. Une autre foule, mais plus disciplinée se répète le code secret des petites cartes jaunes. Eh oui, l'heure ici est à la carte magnétique et au distributeur de billets. Tout marche comme sur des roulettes. Et comment ! Le receveur qui a quitté son bureau après 19 heures, bureau qu'il a ouvert à 7 heures du matin, n'a eu que 10 minutes de répit durant toute la journée. Dix minutes pour les ablutions, la prière et un câlin aux enfants avant le ftour. Et les habituelles tarawih à la mosquée voisine? Comme au bon vieux temps des compagnons du Prophète, que la prière et le saut et le salut soient sur lui. M. Bendehiba préfère être au service de son prochain qui, pense-t-il, est ce qu'il y a de meilleur à présenter dans l'au-delà. A la RP, une équipe solide et soudée mène le bal. Un bal de vingt mille retraités, des dizaines de milliers d'usagers dont des enseignants, des étudiants, des médecins et tous les personnels affiliés au paramédical, des policiers, les douaniers et tous les corps de sécurité confondus, des employés de mairie et autres institutions, les postiers eux-mêmes, etc. Peut-être des centaines de milliers. Et ces millions d'estivant et ceux de passage en été comme en hiver ? Tout ce beau monde n'a d'yeux que pour le guichet et le clavier. On entend des bouches des derniers arrivés : «Rahi temchi? –Oui. –Hamdoulilah» Elle fonctionne ? Oui. –Dieu, merci. Ici, vous pouvez le dire sans mentir que l'argent coule à flots. C'est par sacs entiers de billets de mille dinars que M. Benosmane alimente les machines des guichets et le distributeur des billets installé nouvellement. Un dernier coup d'œil aux guichets chez le gentil et calme «Rouji», c'est ainsi que tout le monde appelle l'un des meilleurs employés d'Algérie Poste et voilà M. Benosmane derrière son bureau pour d'autres chats à fouetter. Du nouveau à la poste ? Oui ! Et avec un large sourire, M. le receveur m'apprit que «depuis vendredi dernier, soit le 11 septembre, la poste n'a pas fermé et qu'en plus nos postiers sont les seuls en Algérie à avoir pris l'initiative de commencer ce service continu une journée avant les autres.» Motif ? «Il a été décidé en haut lieu que tous les virements se feraient avant le 17 septembre 2009 pour satisfaire nos compatriotes pris dans le tourbillon de le Ramadan, la rentrée scolaire et l'Aïd. C'est inhabituel. Nous sommes biens obligés en tant que service public et tout simplement en tant qu'humains de satisfaire à notre tour ceux qui attendent beaucoup de nous. Les riches, les pauvres, les pères de familles, les veuves, les orphelins, ceux qui ne font que passer, les ménagères…» Ce «beaucoup» prête à sourire, car avec les services de Western Union que vient de prendre en charge Algérie Poste, la tâche ne sera pas «facile». Et M. Le receveur me fit comprendre que la question n'est pas dans la difficulté ou la facilité, mais dans le volume. « Imaginez le traitement de près de deux mille par jour chèques en plus des services de la Western Union en une journée. Pas plus tard que ce matin, une de nos guichetières s'étouffait jusqu'au vomissement par manque d'air, alors que nos usagers la harcelait à gauche et à droite dans une atmosphère insoutenable. Une femme enceinte de surcroit et qui a préféré ne pas abandonner ceux qui sont devant elle demandant leurs droits. Ajoutez à cela, des guichetiers qui se trompent et se trouvent en manque d'argent dans les caisses en fin de journée. Et chose que je souligne, c'est la bonne conscience et l'honorabilité de nos citoyens. Des gens viennent nous rendre ce qui leur a été remis par erreur. Cet après-midi quelqu'un nous a reversé dix mille dinars que l'administration aurait imputés à l'employé auteur de l'erreur. C'est vous dire que manipuler de la monnaie n'est pas chose aisée ». Et puis vint celui qui se plie en quatre pour vous servir, M. Senouci. Il est là pour détendre l'atmosphère de son chef et un vieux postier en retraite auquel la «famille» doit tout. A lui et à ses pairs. Deux ou trois minutes et M. Senouci rejoindra son poste. Et M. Benosmane, «Le Vieux» et M. Senouci nous racontèrent pleins d'anecdotes, sur la seule institution qui ne se fanera pas. Toujours aussi prestigieuse tant qu' «Ils» seront là. Surpris entrain de fustiger la poste, « El Bochta », comme on dit chez nous, un citoyen… Surpris par qui vous demandez-vous? Surpris par pas moins que le ministre des Postes et Télécommunications d'il y a quelques années, sur le perron de la RP de Mostaganem. Le ministre enlaça le citoyen et lui demanda gentiment ce qu'il avait contre « El Bochta ». Et honnête comme tous ceux qui n'ont pas leurs langues dans leurs poches, l'homme d'un certain âge lui répondit sans sourciller devant l'assistance que « c'est la seule institution qui joue bien son rôle et que je peux malmener en toute impunité. » Et c'est surement une institution qu'aime bien ce compatriote, convaincu à jamais que rien ne remplace la poste et tout le monde vous le dira. A un vieillard qui se déplace de Hassi Mamèche où il habite pour effectuer des retraits d'argent à la Recette Principale de Mostaganem, M. Benosmane conseilla la sollicitation des services du bureau de poste de sa localité de résidence. Quelle ne fut la surprise du receveur quand l'octogénaire lui répondit d'un ton sec : « Je retire mon argent de ces guichets depuis que les Français étaient là et ce n'est pas à un môme né hier de me montrer comment m'y prendre. Et pourtant… il s'éreintait. Le vieil homme ne savait qu'il pouvait être servi chez lui ! Pour le motif que la daïra n'a pas répondu à « ses désirs », un citoyen ne trouva rien de mieux que de s'en prendre à Algérie Poste. La raison ? C'est la poste qui s'est chargée d'acheminer sa missive à la daïra et il a fallu un grand remue-ménage pour lui trouver les traces de son courrier et lui prouver qu'il a été bien reçu par les services de la daïra.