Coincée depuis la fin de la décennie 1980, avec l'apparition des antennes paraboliques collectives, entre les politiques audiovisuelles extérieures (publiques et privées) françaises et celles de l'Arabie Saoudite et du Qatar, l'histoire de l'audiovisuel algérien risque de demeurer dans un monopole d'Etat pérenne et d'offrir en même temps un marché toujours plus juteux aux opérateurs étrangers. Sans jamais enregistrer au moins une séquence de ce qu'on appelle un service public de l'audiovisuel, comme en construisent tous les pays développés. Cette réalité n'a de paradoxale que l'apparence : placée sous un régime réglementaire autoritaire, l'ENTV est d'abord investie de l'exclusivité de porter la voix et les images des maîtres du moment. Se crée alors comme une division du travail, ou plutôt du marché : « Pas touche » à la médiatisation politique des réalités algériennes ; et laisser-faire/laissez-passer à toutes les images vantant le merveilleux monde des industries du divertissement. En l'espace de deux années, ce que l'on peut appeler dorénavant le marché algérien des téléspectateurs est bel et bien ouvert aux firmes les plus entreprenantes étrangères du domaine de la télévision satellitaire. Après le bouquet ART, d'un prince saoudien qui en a fait ses choux gras – y compris de vendre des cartes de décryptage/ abonnement via le réseau de la Poste algérienne, c'est au tour du groupe français Canal +, via sa filiale Overseas, de reconquérir le marché maghrébin, après un gel d'activités entre 1993 et 2000. Les stratégies d'implantation de ces deux opérateurs, que ce soit en Algérie ou au Maroc et en Tunisie, sont d'abord portées par des jeux d'acteurs institutionnels étrangers « marquant les joueurs », comme on dit dans le langage footballistique. En l'occurrence de « joueurs » ici les offices étatiques de télévision. Ces jeux ouverts à l'international sont aussi décisifs de captation d'audience. Et par là même de gains d'argent faramineux (Canal Overseas parle d'environ 13 millions de téléspectateurs potentiels pour le Maghreb au coût de 20 euros/mois) ; mais aussi – en dividendes incommensurables à ajouter au pactole – « d'arrosage » idéologique que ces deux fournisseurs d'images escomptent trouver dans l'eldorado des auditoires maghrébins, aussi orphelins de démocratie que d'une vraie télévision nationale. La dépendance ainsi créée permet, par des jeux des marchés internationaux des grands programmes, des achats groupés pour une région : l'émir saoudien propriétaire du bouquet ART a acheté les droits de retransmission pour la région du monde arabe des matches de foot internationaux alléchants, jusqu'à 2011. Le 20 mars 2007, le ministre français des Affaires étrangères, P. Douste-Blazy, a affirmé à l'Institut du monde arabe : « C'est spécifiquement pour le Maghreb que Media Overseas, filiale de Canal+, travaille à l'élaboration d'une offre satellitaire française et diversifiée. » Moins d'une année après, c'est chose faite. Quand donc l'Algérie aura-t-elle des gouvernants aussi stratèges dans la préservation des intérêts du pays ? L'auteur est : Spécialiste des médias