Les SDF (sans domicile fixe) sont considérés comme les laissés-pour-compte de la société « moderne » qui a perdu tous ses repères et tous les réflexes de solidarité et d'entraide dont étaient jalouses les générations passées. A Bouira, combien sont-ils ceux qui ont, par la force des choses, épousé ce triste statut ? En l'absence de statistiques, il est difficile d'avancer des chiffres sur cette frange qui s'est retrouvée dans l'indécence de la rue parce que rudement frappée par une maladie ou ayant tout perdu ; l'emploi et autres biens matériels. S'il y a un SDF dans chaque commune, on pourrait atteindre le chiffre de 45 à l'échelle de la wilaya de Bouira. Par contre s'il y en a plus dans chaque localité, cela change complètement la triste donne. D'ordinaire outre un nombre de femmes jetées à la rue parce que victimes du code de l' « infamie », les autres SDF sont généralement des malades mentaux. La situation dénote l'inexistence de prise en charge des patients souffrant de pathologies psychiatriques et de fait cette spécialité indéniablement à la traîne que ce soit à l'échelle de la région ou de tout le pays. Comme le transfert de ce genre de malades requiert, selon les élus ou les services de sécurité, une procédure administrative et médicale marathon, les malades mentaux sont voués à l'oubli et destinés à errer et à galérer dans les villes et les villages. Ce spectacle choquant et déshumanisant d'un être humain couché sur un carton posé à même le sol, sous un abri offert par un balcon ou une véranda est complètement banalisé. Que de femmes SDF se sont relayées sur le trottoir d'une banque du centre-ville de Bouira ? Combien de sans-abris transitent-ils par le chef-lieu de la wilaya avant de s'aventurer à aller au gré de leur instinct vers d'autres cieux plus prometteurs ? Par moments, dans des moments de délire, ils se mettent à parcourir des kilomètres en marchant au milieu de la chaussée. Le cas de Rabah qui faisait 17 kilomètres à partir de sa résidence à Boudjellil pour se rendre jusqu'à Taourirt ou Ahnif est édifiant. Aux yeux de certains, « l'Etat par son laxisme et son inaction vis-à-vis de cette catégorie vulnérable est coupable de non-assistance à personnes en danger ». Pour preuve, Rabah a vécu des années de sa maladie psychiatrique chronique à déambuler jour et nuit sur la RN5 jusqu'au jour où il a été percuté mortellement par un poids lourds. Le pauvre a juste eu droit à un enterrement avec un moment d'émotion et un trait est tiré sur la dramatique existence qu'il a eue. Poignants témoignages de gens attestant que ce SDF a contracté sa schizophrénie à l'issue du Service national qu'il avait dûment rempli vis-à-vis de son pays. Mais, n'est-ce pas là une ingratitude caractérisée que de l'avoir libéré complètement dénué de ses potentialités mentales ? Combien sont-ils à souffrir exposés à la faim, au froid et à l'insécurité de la rue qui ne leur prête même plus attention ? C'est vrai que les autorités ont pris une louable initiative, il y a quelques années, pour les héberger et leur prodiguer nourriture et chaleur humaine au plus fort de l'hiver. Mais, force est de constater que de telles actions ne se produisent que rarement ; et par hasard, les différents acteurs intervenant juste dans un cadre conjoncturel. Et puis, que font les services sociaux qui puisse aider ces malheureux à se réinsérer socialement et leur donner les voies et les moyens de s'extirper à la déchéance de la rue ? Il s'avère donc qu'une prise en charge limitée dans le temps ne donne qu'un sursis aux sans-abris qui reviennent au terme de leur séjour dans un établissement improvisé pour eux occasionnellement. Ne vaut-il pas mieux d'aider un SDF à se reconstruire et s'en sortir que de l'héberger avec une bonne chorba bien chaude qui est, elle, éphémère ? Les élus et les autorités ne peuvent-ils pas trouver une réponse adéquate à cet épiphénomène qui ronge la société ? Qui a donc le devoir de protéger le citoyen et ses biens selon la constitution ?