Face à une maigre production locale et de nouvelles taxes sur les produits importés, le marché des viandes risque de voir les prix flamber encore plus. 1100 DA le kilo de viande de veau importée. 980 DA le kilo de viande hachée importée. 1200 DA le kilo de bifteck de veau importé. Les parties nobles (entrecôtes, faux filet…) : 1300DA/kg. Quant à la viande locale, ses prix sont à partir de 1300 DA/kg. Ce sont les prix affichés mercredi à la boucherie des Trois-Horloges, à Bab El Oued, de la chaîne algérienne Rahma Meat. Mais attention, si ces prix vous paraissent moins élevés, c'est parce que ce sont des prix de gros. La chaîne qui exerce depuis 2010 dans l'importation de viande après plusieurs années dans la production locale de viande, ne compte pas sur le bénéfice de ses magasins de détail dans ses affaires et affiche des prix de première main. Ailleurs, dans la plupart des boucheries, les prix des différentes viandes sont plus élevés. Surtout depuis le 29 janvier dernier, quand le gouvernement a décidé de soumettre certains produits importés au Droit additionnel provisoire de sauvegarde (DAPS). En effet, une liste de 1095 produits a été publiée dans le Journal officiel n°6, sur lesquels le DAPS sera appliqué aux opérations d'importation de marchandises. Le taux de cette taxe varie entre 30% et 200% et elle sera perçue en sus des droits de douane. Ce nouveau dispositif concerne plusieurs groupes de produits, dont les viandes blanches et rouges, à l'exception de la viande bovine congelée. Selon les textes gouvernementaux, les viandes bovines, fraîches ou réfrigérées, sont taxées à 50%, celles des animaux des espèces ovine ou caprine, fraîches, réfrigérées ou congelées à 70%. Bénéfice Sur le marché, les opérateurs et commerçants en viandes ne sont pas des plus heureux. L'augmentation des taxes veut dire pour eux importation plus coûteuse, hausse des prix et baisse de consommation. En effet, selon Mohamed Toumi, un importateur algérois, le nombre d'opérateurs va certainement réduire après l'imposition du DAPS. «Nous ne comprenons pas pourquoi ce taux très élevé de la taxe ! Les coûts d'importation vont s'élever, les prix des viandes aussi et la consommation baissera», déplore-t-il. Et d'ajouter : «La cherté commence au niveau du marché de gros avant d'arriver au détaillant. Par exemple, le bifteck qu'on recevait entre 700 et 1300 DA le kilo n'est pas disponible aujourd'hui à ce prix. La demande sur les viandes, en particulier les rouges, a beaucoup baissé depuis l'imposition de la nouvelle taxe DAPS. Les prix montent et les gens ne se permettent plus la consommation de viandes. Ce n'est pas 30 DA ou 50 DA de plus, mais des centaines de dinars. Ce n'est pas rien pour un employé père de famille», explique l'importateur. Même constat établi par Abdennour, responsable de la boucherie de Bab El Oued de la chaîne Rahma Meat. Pour ce dernier, personne ne sera plus affecté par la taxe imposée sur les viandes que le consommateur. «Le premier affecté par l'imposition duDAPS est le consommateur. Les importateurs et commerçants seront aussi affectés, mais pas au même degré que le consommateur. L'importateur, le grossiste, le boucher ont tous leur marge de bénéfice quel que soit le prix. Mais le consommateur, seul, sera contraint à payer plus cher pour se procurer de la viande», souligne-t-il. Ramadan «Ils auraient pu imposer une taxe plus faible. 70% c'est trop, d'autant plus que le Ramadann avance à grands pas et que la production nationale ne s'améliore pas et ne couvre pas les besoins. Le consommateur se retrouvera dans l'obligation d'acheter la viande importée et de la payer cher», ajoute Abdennour. Pour lui, face à cette situation, le consommateur n'aura d'autre solution que de se rabattre sur le poulet, bien moins cher, s'il souhaite manger des protéines animmales, car les viandes rouges ne seront pas très accessibles dorénavant. «Le citoyen mangera du poulet un jour, deux jours, un mois… Mais cela durera jusqu'à quand ?! Ce n'est pas une solution et ce n'est pas juste…», déplore-t-il. Mohamed Toumi confirme que cette taxe ne fait qu'aggraver les choses, vu que le secteur manquait déjà d'organisation à la base : «On n'a pas un vrai marché de viandes. Surtout après la fermeture de l'abattoir de Ruisseau et son remplacement par celui d'El Harrach. Le mois de Ramadan arrive dans quelques semaines, je peux garantir que ce dernier ne suffira pas pour assurer la mise sur le marché de la quantité de viande adéquate pour la période. Déjà, question superficie, il est très petit par rapport à celui de Ruisseau et il est loin de répondre aux normes en vigueur.» Et d'ajouter : «Par exemple, à l'heure actuelle, L'Etat est en train de nous orienter vers l'importation du vivant, parce qu'il n'a pas été taxé. On aimerait bien, parce que question affaire, il est plus intéressant que les carcasses et le sous vide. Seulement, nous n'avons pas suffisament d'abattoirs pour nous permettre d'exercer.» Pertes Cette taxe fera aussi des victimes parmi les opérateurs. Selon le responsable de la boucherie Rahma Meat, dorénavant, il sera très difficile pour les jeunes et nouveaux importateurs de résister sur le marché. «Les nouveaux importateurs auront du mal à rester sur le terrain. Car, même s'ils ramènent de la marchandise, il ne vont pas facilement trouver preneur, vu que la consommation diminuera… Ils ne tiendront pas le coup», souligne-t-il. Contrairement aux anciens du marché, qui ont leur réseau de distribution que ce soit vers le marché de gros ou le marché de détail, «en fait, d'un côté, cette mesure est bien. Elle permettra d'éradiquer les parasites qui ont pollué le secteur», affirme Abdennour. Par ailleurs, concernant la quantité, le responsable du magasin rassure que la disponibilité de la marchandise sur le marché ne sera pas affectée par l'imposition de la taxe. «On aura la quantité de viande qu'il faut sur le marché, mais c'est la consommation qui risque fortement de baisser… La plupart des importateurs ont de l'argent pour investir. Tant qu'ils continuent à avoir un peu de bénéfice, ils ne renonceront pas à leur activité. Ce n'est pas la taxe qui va le pousser à arrêter, mais le manque de bénéfice et les pertes», souligne-t-il. Un autre point de vue, celui de El Hadj Tahar Boulenouar, président de l'Association nationale des commerçants et artisans algériens (Ancaa) : bien qu'une nouvelle taxe ait été imposée sur l'importation des viandes, les prix dépendront toujours du facteur offre et demande. Pour lui, les répercussions de cette dernière taxe ne vont pas se faire ressentir de suite, mais à l'arrivée d'une période de pointe, le mois de Ramadan par exemple, quand la demande sera forte. «En ce moment, la demande sur les viandes rouges sur le marché n'est pas très forte, à cause des maladies qui ont touché le cheptel dernièrement. Le consommateur se tourne beaucoup plus actuellement vers les viandes blanches. Mais durant le mois de Ramadan, si la production n'augmente pas selon la demande, les prix grimperont automatiquement», assure-t-il. Maladies Le président de l'Ancaa reste optimiste et voit le bon côté des choses : «La taxe sur les viandes est fixée à 70%. C'est une bonne chose à mon avis, pour préserver la production locale et encourager les éleveurs à augmenter la production. Parce que dans le cas contraire, s'il n'y a pas de taxe, tous les investisseurs se tournent vers l'importation et la production nationale s'affaiblira de plus en plus.» Et de poursuivre que si les services vétérinaires parviennent à éradiquer les maladies et que l'Etat apporte son soutien et son aide aux éleveurs – par exemple faciliter les prêts bancaires sans bénéfice, rembourser leurs pertes en cas d'anomalies, garantir la disponibilité de l'aliment de bétail… – la production sera doublée et les prix des viandes n'augmenteront pas, en tout cas pas de manière excessive. «On constate cela sur les prix du poulet par exemple : malgré l'augmentation des taxes, les prix n'ont pas bougé et demeurent accessibles. Parce que ces derniers dépendent toujours de l'offre et de la demande», ajoute El Hadj Boulenouar. A ce jour, la production nationale des viandes, qu'elles soient rouges ou blanches, est insuffisante par rapport à la demande. La preuve, à chaque période de pointe comme durant le mois de Ramadan ou les fête religieuses où la demande sur les viandes se multiplie jusqu'à plus de 40%, deux ou trois mois avant, le gouvernement décide de renforcer l'importation de viande. Ce comportement est une preuve que notre production n'est pas suffisante pour satisfaire nos besoins. «Les estimations fiables des éleveurs et experts en la matière affirment que la production nationale de viandes rouges est estimée entre 400 000 et 450 000 tonnes par an, et 300 000 et 320 000 tonnes de viandes blanches par an. Ce qui nous fait un total d'environ 800 000 à 850 000 tonnes par an. Alors que nos besoins sont estimés par les experts entre 900 000 et un million de tonnes par an», estime-t-il. Plantes sèches Pour le président de l'Ancaa, si la production nationale est insuffisante, c'est parce que le secteur de l'élevage souffre depuis des années de plusieurs anomalies. Déjà, rien qu'en voyant le nombre de têtes, on constate rapidement que la production est maigre. En effet, depuis des années, le potentiel algérien se limite à une moyenne de 25 millions de têtes ovines, 2 millions seulement de bovins, 5 millions de chèvres et 5 millions de chameaux, dont la viande est très demandée dans le sud du pays. Ce qui nous fait un cumul total de moins de 40 millions de têtes. «Ce potentiel est très faible, un, par rapport à la population qui dépasse les 43 millions d'habitants, et de deux, par rapport à la superficie du pays. Comparé au Soudan par exemple, dont le potentiel est de 102 millions de têtes ovines seulement, l'Algérie est très loin. Normalement, il aurait été plus judicieux d'exploiter la grande superficie du Sahara, où on trouve différentes plantes sèches, pour encourager l'élevage», explique-t-il. Ajouter à cela l'aliment de bétail qu'on continue à importer à des prix excessifs. «C'est un sérieux problème dont souffrent les éleveurs depuis des années et qui impacte fortement les prix des viandes sur le marché. La plupart de ces derniers mobilisent leurs capacités d'investissement, craignant l'indisponibilité des aliments importés. Leur production en Algérie encouragera les éleveurs à investir davantage dans le secteur et doublera notre potentiel et la production nationale. On voit cela dans les pays qui ont développé la filière des viandes. Ils ont tous une production locale d'aliment du bétail», souligne-t-il.