Importante ville côtière, Arzew a vécu des journées insurrectionnelles avec mort d'homme et cortège de blessés. La télévision a fait l'impasse sur ces graves événements, se contentant, le soir du premier jour des émeutes, de la diffusion du communiqué du parquet d'Oran annonçant l'ouverture d'une enquête judiciaire. Nombreux devant leur écran, en ce mois de jeûne, les téléspectateurs ne sauront rien de ce qui s'est passé à Arzew dont les détails ne seront étalés que dans les colonnes de la presse écrite. Il est coutumier à l'ENTV de faire l'impasse totale sur des événements lourds affectant la société algérienne ou de ne retenir des faits qu'elle relate que la version officielle. Ce média lourd réagit exactement comme il y a vingt ou trente ans, sourd aux évolutions médiatiques à l'intérieur du pays, marquées par l'émergence d'une presse libre et par un flux intense d'images parabolées. Délestée de son rôle informatif, orientée vers une fonction propagandiste, la télévision algérienne est au cœur du dispositif de manipulation médiatique du pouvoir. Est-ce que celle-ci en tire des dividendes ? Aucune étude sérieuse ne l'atteste. Et même s'il est établi scientifiquement que le verrouillage télévisuel est contre-productif, les autorités ne lâcheront pas le morceau, tant elles restent profondément convaincues que « tenir la télévision, c'est tenir la société ». C'est avec cette logique d'ailleurs qu'elles rejettent toute idée d'ouverture de l'audiovisuel au privé, faisant ainsi de l'Algérie l'un des rares pays dans le monde qui reste encore sous totale emprise étatique. Il y a au sein des couches dirigeantes, dans la continuité de celles d'hier, une hantise de l'image brute car celle-ci a la capacité de porter la vérité : elle est donc forcément contestataire de l'ordre établi. Ce qui est redouté chez les émeutiers d'Arzew - et chez tous les autres en divers lieux et en tous instants -, c'est moins leurs revendications, même si celles-ci sont craintes lorsqu'elles revêtent un contenu politique à l'image de celles de Kabylie, que leur capacité d'investir l'espace public et de défier l'autorité. Les gouvernants vivent les soulèvements comme leur propre échec et ils ne tolèrent pas cela : leur credo donc est de les étouffer dans l'œuf par la répression des émeutiers eux-mêmes et de l'image qu'ils véhiculent, porteuse de contagion et de rupture du lien avec l'autorité politique.