Tout comme « Bakhta », « Bia Dak El Mour » est une œuvre poétique-phare du chant Bedoui oranais. Son géniteur n'est autre que le Cheikh El Hachemi Bensmir qui a légué à son digne successeur, Blaoui Houari, le soin de pérenniser, à travers une très belle mélodie, ce standard Wahrani. Bensmir, en maître incontesté du genre Baladi, est né en 1877 à Oran, à M'dina Djdida exactement. Il est issu d'une vielle famille Oranaise, originaire de Mascara. Après avoir appris le Coran à Sidi El Houari, auprès de Cheikh Mustapha Ben Chérif, le barde se lancera, dès son jeune âge, dans le Chiire El Melhoune. « Bia Dak El Mour », pur lyrisme conciliant foi divine et sentiment d'amertume à l'endroit de l'ordre colonial, vaudra au poète, durant les années vingt, un séjour en prison. Car en fait, les cinquante deux vers de cette sublime inspiration « subversive » renvoient à un dialogue qu'entreprend le poète dans un cimetière avec une femme éplorée à la suite du décès de son frère qui n'est autre que Houari Ould El H'biche. L'endeuillée, à l'image de la grande poétesse arabe El Khanssa, étale dans ses pleurs tous les mérites de son frère qui était un réconciliateur (Jah) célèbre sur la place d'Oran. La rengaine du poème et du poète, prédication et consolation, revient entre chaque strophe pour rappeler dans la résignation « qu'il est écrit que l'homme peut être vaincu et que ses malheurs augmentent ». Et dans une longue litanie, l'affligée entend dire « que peut représenter ton malheur face à celui de tous ces hommes qui, humiliés et fouettés, s'en vont, boulets aux pieds, dans les bateaux du non-retour ». Ici, l'allusion est faite au « bateau blanc » qui emmenait les rebelles avant l'heure vers le bagne de Cayenne. Bensmir a chanté « Wahrân Ki Kounti », une autre œuvre moins connue mai qui chante la splendeur de la ville d'Oran avant la colonisation Française. Il mourra subitement au mois de juin de l'année 1938. Il laissera une lignée de Chanteurs à l'image de son fils Bensmir Missoum, encore vivant de nos jours. Ce qui est perceptible dans cette œuvre, c'est l'isotopie de la résignation et de l'abandon face à l'hégémonie du colonisateur, la même qui caractérisera toute la production littéraire algérienne et politique du début du siècle, jusqu'au années quarante.