La thèse du Grand Maghreb islamique se vérifiera-t-elle au Maroc ? Beaucoup sont tentés de le confirmer, les observateurs étrangers font le même constat et la presse marocaine en est presque certaine : «Les Marocains voteront PJD.» «Bien sûr que je voterai PJD, ils sont les moins mauvais de toute la classe politique marocaine proche du makhzen», lance Mohamed Hakim, 25 ans, au look branché, attablé dans un grand café de Casablanca. Les raisons sont multiples et chacun y va de son analyse et de sa conviction. Pour Mohamed Hakim, «les gens du PJD représentent en quelque sorte l'opposition, même si officiellement ils ne s'opposent pas au Palais !» Son ami Mahmoud pousse l'analyse plus loin : «Certes, ils ne s'opposent pas aux thèses du makhzen, mais ils sont surtout porteurs d'un projet social, ce dont les Marocains ont besoin aujourd'hui. La relance économique et la prise en charge sociale passent avant les idéaux politiques, viendra peut-être un jour où on parlera des choses sérieuses.» C'est justement sur le registre social que la bataille se joue actuellement. Si la «Coalition des 8», des partis politiques dits proches du Palais mènent campagne tambour battant sur les disparités sociales et la misère, le PJD a tout compris depuis le début. «Sur ce terrain, les militants du PJD ont devancé les autres partis politiques ; ils ont toujours été présents parmi la population», analyse un jeune du Mouvement du 20 février, né au lendemain des manifestations du début de l'année. Pour comprendre, il suffit de faire un tour à Casablanca, le temple du capitalisme marocain, une ville présentée comme étant la plus dynamique du Maghreb par les médias étrangers, notamment français, mais en réalité rien de tout cela : la misère est palpable et pas besoin d'aller dans les bidonvilles et les quartiers populaires. Dans les cafés ou dans les rues, les Marocains, désœuvrés, vous harcèlent pour vous fourguer quelque chose, cela va des serviettes en papier jusqu'au dernier Iphone 4. Aïcha, la cinquantaine, est vendeuse de cigarettes en plein cœur de Casa. Elle dit voter pour le PJD : «Ils viennent nous voir tout le temps ; ils tentent avec leurs moyens dérisoires de nous aider. Le plus important est qu'ils sont constamment à notre écoute.» Elle croit dur comme fer que si les politiques du PJD remportent les élections, les choses vont «certainement changer pour le mieux des Marocains». Aïcha n'est pas la seule à penser cela, Mohamed, la quarantaine, chômeur, vient d'étaler à même le sol des vestes usées : «Je viens vendre ce qu'il me reste de mes vêtements pour nourrir ma famille. Avant d'arriver ici, j'ai été interpellé par un gars du PJD, des gens que je connais très bien, ils sont tout le temps à nos côtés. Ils luttent malgré les contraintes pour notre bien-être, d'autant que la plupart d'entre eux partagent les mêmes conditions difficiles de vie.» A Aïn Chaq, un quartier populaire de la banlieue de Casa, même constat et mêmes déclarations. «On se sent proches du PJD, car il porte tout haut ce que nous vivons tout bas. Ce sont des enfants du peuple, ils ne sont ni corrompus ni opportunistes», argue Abdellah, la quarantaine, agent communal. Le PJD a fait des conditions de vie difficile les ingrédients de sa politique et le discours attire de plus en plus de monde. Il prône une politique axée essentiellement sur la lutte contre la misère mais aussi contre la corruption qui a «gangrené le royaume». Parmi ses militants et ses adhérents, on compte des industriels, des commerçants, des intellectuels et des défenseurs des droits de l'homme. Pour les acteurs économiques, le PJD, s'il atteint les sphères du pouvoir, «pourrait renverser l'ordre établi ; il mènera la vie dure aux bureaucrates corrompus, aux décideurs locaux. Ainsi, les choses vont devenir beaucoup plus faciles pour les investisseurs locaux», atteste un industriel. Le PJD, selon nos interlocuteurs, est hostile à la mainmise des étrangers sur l'économie locale. «Avec le PJD, finis les privilèges accordés aux étrangers, place à la dignité», assurent-ils. Ce discours a trouvé écho chez l'élite et les diplômés. La justice sociale est devenu un slogan très «in», une mode chez les altermondialistes marocains et autres humanitaires. «Ils ont compris les problèmes des Marocains, c'est presque devenu une mode de parler de la misère, du chômage, de la santé… Ça attire à la fois la population démunie et l'élite qui se cherche. Les Marocains ont besoin qu'on parle d'eux loin des slogans et du discours officiel. Le PJD va à leur rencontre et leur parle», analyse un membre de l'Association marocaine des droits de l'homme. Et pas seulement, puisque le discours à connotation religieuse conforte un Maroc à forte tradition musulmane. Un cocktail fait de religion et de social ne peut que plaire. Mahmoud a été charmé par ce discours, d'autant qu'il a assisté à une scène à Aïn Chaq, son quartier, comme d'ailleurs un peu partout dans Casa ou les autres villes marocaines. Le PJD a promis de combattre les marchands de «riba» (l'usure) des fortunés qui proposent des prêts rémunérés aux démunis en contrepartie de la confiscation de leur carte d'identité. C'est pour cette raison que Mahmoud clame haut et fort que, demain, il votera PJD.