Pendant des jours, la population a suivi les épisodes du drame des rapts suivi de l'assassinat des petits Haroun et Brahim, cherchant à transformer ce potentiel émotionnel en un acte concret pour changer les choses. Constantine vient de vivre une semaine qu'elle n'est pas près d'oublier. Deux enfants, Haroun et Brahim, kidnappés et ensuite lâchement assassinés. Colère, vive émotion et condamnation unanime. Et enfin la grève générale et l'attaque du palais de justice faisant beaucoup de dégâts matériels, 25 blessés parmi les policiers et de nombreuses arrestations. Dans ces événements qui ont marqué le dimanche constantinois, il y a eu deux types de réaction. Et entre la grève suivie massivement en signe de recueillement et de solidarité avec les familles des victimes et la marche de jeunes visant l'affrontement avec les forces de l'ordre, deux groupes sociaux se sont exprimés différemment. Indignée, la population a exprimé sa condamnation unanime de l'acte ignoble et des causes qui ont rendu la vie impossible dans une ville transformée en un coupe-gorge métropolitain. La charge colérique des habitants de Constantine pouvait soulever une montagne. Pendant des jours, la population a suivi les épisodes du drame en cherchant à transformer ce potentiel émotionnel en un acte concret pour changer les choses. Quête non fructueuse, puisque les Constantinois n'ont trouvé aucune force à laquelle s'identifier et s'y accrocher pour faire quelque chose. Aucun parti politique parmi ceux implantés à Constantine n'a réagi à l'événement, ne serait-ce qu'en exprimant un sentiment de compassion avec les familles des victimes. Ni le FLN et le RND ni le MSP, le PT et le FFS, présents dans les institutions locales et nationales, n'ont jugé utile de prendre le pouls de la société pour comprendre et formuler sa demande, pourtant urgente. Idem pour le mouvement associatif qui a brillé par son absence. Cadeau empoisonné L'absence de force et de symbole auquel s'identifier a poussé les jeunes droit dans les bras des islamistes, seule force sur le terrain. Les islamistes ont vite occupé l'espace vide pour exploiter la colère et la transformer en gains politiques. Dès le début, ils se sont affichés pour haranguer la foule indignée et diriger la révolte contre les pouvoirs publics en donnant le label idéologique à la revendication. D'emblée, ils ont imprégné la connotation religieuse à la demande de tous. «Al Kassas» est sur toutes les lèvres. Il n'existe peut-être pas un mot français synonyme, mais le sens de ce terme renvoie à la sentence du droit musulman pratiquant la loi du talion. Celui qui a tué doit être tué. Des imams ont relayé la revendication comme une certaine presse qui a cru être investie d'une mission pour demander à coups de manchettes «mort aux coupables». Des parents eplorés et dignes Croyant le fruit mûr, les islamistes ont voulu utiliser le potentiel jeunesse pour descendre dans la rue et affronter l'Etat. Les Constantinois ont vite saisi qu'il s'agissait d'un cadeau empoisonné, contrairement aux jeunes qui sont tombés dans le piège, en dépit de la mise au point des parents des deux enfants qui se sont vite démarqués de l'action, en précisant que leur appel diffusé sur des tracts se limite à une journée de recueillement. Mieux, les parents des victimes ont adressé une fin de non-recevoir aux courtiers islamistes venus chez eux faire l'offre de service pour sous-traiter la revendication. «Vous ne pouvez pas faire commerce avec notre douleur et le sang de nos enfants pour servir votre propre agenda», leur ont-ils signifié. Seuls des jeunes, parmi lesquels beaucoup de mineurs, ont répondu à l'appel à la marche. «On demande l'application de la charia», pouvait-on lire sur l'une des pancartes brandies par les marcheurs. En fin de course, les islamistes ont peut-être raté l'occasion de provoquer l'anarchie, mais ils ont peut-être réussi à attirer beaucoup de jeunes dans leurs rangs. La population a montré, de son côté, qu'elle est assez mûre pour déjouer les desseins islamistes, mais sa frustration demeure entière face à la terreur qu'elle doit subir et à l'abandon total dont elle fait l'objet.