L'initiative du gouvernement d'union nationale continue de créer la polémique en Tunisie, même après l'entrée en action de l'équipe de Youssef Chahed. «Cela veut dire qu'il y a une volonté de s'attaquer aux dossiers complexes, nécessitant l'adhésion de tous», estime Belgacem Ayari, secrétaire général adjoint de la puissante centrale syndicale UGTT. Lequel syndicat est désormais appelé à mettre la main à la pâte pour contribuer à des solutions réelles à la crise traversée par la Tunisie. La realpolitik n'est pas facile pour une organisation habituée aux slogans et au soutien systématique des revendications sociales. L'un des principaux objectifs de la proposition du gouvernement d'union nationale, faite par Béji Caïd Essebsi en juin dernier, est d'intégrer l'UGTT de manière directe au jeu politique en Tunisie. Il s'agit d'éloigner la centrale syndicale du bloc de la contestation vers le camp d'édification. D'où les concessions faites par Youssef Chahed pour former son équipe et l'affectation du ministère des Affaires sociales à Mohamed Trabelsi et celui de la Fonction publique et la gouvernance à Abid Briki, deux ex-membres de la direction syndicale, qui briguaient le poste de secrétaire général lors du prochain congrès, prévu début 2017. Diviser l'opposition Le président tunisien est conscient que la sortie de crise socioéconomique, traversée par son pays, est tributaire de la solidité du front intérieur, parce qu'il y a des décisions «douloureuses» à prendre. Béji Caïd Essebsi ne s'est donc pas limité à intégrer l'UGTT dans la sphère de décision. Il essaie désormais de convaincre la frange modérée du Front populaire que ce n'est pas la volonté politique qui manque. Comme le porte-parole du Front populaire, Hamma Hammami, est indéboulonnable, le Président a récemment reçu le député «frontiste» Mongi Rahoui, président de la commission des finances au sein de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), pour essayer de la convaincre des limites de manœuvre du gouvernement. BCE a déjà proposé au député Rahoui de faire partie du gouvernement de Youssef Chahed. Mais ce dernier s'est excusé, tout en s'abstenant lors du vote de confiance à l'ARP, alors que le Front populaire avait donné pour instruction de voter contre. Le Président mise sur le pragmatisme de Rahoui et l'aile patriote démocrate au sein du Front populaire pour réduire la contestation contre les programmes de réforme du gouvernement, d'autant plus que cette aile est très active à l'UGTT. Béji cherche à diviser le Front populaire en essayant d'en intégrer une frange dans les sphères de décision. «L'enjeu, pour le Président, est d'associer toutes les forces positives dans son œuvre, afin de convaincre la population que l'Etat fait tout ce qui est possible pour améliorer les choses», souligne Mustapha Ben Ahmed, député du bloc Al Horra. Le député rappelle que ce n'est pas rien que les deux responsables gouvernementaux chargés des dossiers de la réforme de la retraite et de la mise à niveau de l'administration soient des syndicalistes et non des moindres. Les résultats commencent à se faire sentir. Abid Briki a déjà constaté l'ampleur du travail à faire. «La lutte contre la corruption nécessite autant de moyens et d'efforts que la lutte contre le terrorisme», a-t-il déclaré, une semaine après son installation dans son ministère. Realpolitik «Il s'agit d'associer le plus large spectre possible de tendances politiques au gouvernement d'union nationale pour marginaliser ceux qui continuent de dire ‘‘non''», constate le politologue Slaheddine Jourchi, qui recommande toutefois la nécessité d'implication pratique des partis politiques pour défendre les projets du gouvernement sur le terrain. «Plus de politique à partir des tribunes. Tous les acteurs, soutenant le gouvernement, doivent le faire sur le terrain, pas comme du temps de Habib Essid, quand les partis de la coalition gouvernementale critiquaient régulièrement le gouvernement», propose Mustapha Ben Ahmed. Le rôle de l'UGTT est très critique en pareille phase. D'une part, la centrale syndicale est appelée à défendre ses affiliés en essayant d'améliorer leur statut social. Elle n'a cessé de dire que le progrès social passe par une meilleure équité fiscale. D'autre part, les dirigeants de la centrale syndicale savent que cela ne pourrait se faire du jour au lendemain. La meilleure et la plus équitable des politiques fiscales a besoin de plusieurs années pour commencer à donner des résultats. Donc, rien ne pourra se faire rapidement. Tous les experts sont unanimes pour dire que le rétablissement de la paix sociale est la clé du retour de l'investissement et la reprise socioéconomique. Et il faut des efforts et des sacrifices pour faire redémarrer l'économie. L'UGTT en est consciente. Mais elle demande des mesures pratiques dans la lutte contre la corruption pour justifier son engagement avec le gouvernement de Chahed. Certaines sources proches des pôles de décision affirment que des mesures seraient en cours dans ce sens. «La place des têtes de la corruption est en prison», a dit le chef du gouvernement dans une récente interview télévisée. «Prêter main forte au gouvernement, nous n'avons cessé de le faire. Mais il faut aussi lancer des signaux positifs dans la lutte contre la corruption. Les gens ont besoin de voir que l'équité existe en Tunisie. Ils commencent à perdre espoir», insiste Mustapha Ben Ahmed, dont le bloc parlementaire conditionne son soutien au gouvernement par des signaux forts dans la guerre contre la corruption.