Lounis Aït Menguellet a chanté à Béjaïa, dans la soirée de mercredi dernier, dans une salle de spectacles de la maison de la Culture, aux 700 sièges, chargée à n'en plus pouvoir. Plus de 1000 personnes s'y sont serrées, suant à grosses gouttes, et autant se sont installées à l'extérieur, sur l'esplanade, les yeux rivés sur un écran géant. Une heure avant le début du spectacle, c'est presque l'émeute à l'entrée de la maison de la Culture. Bousculades, tension, excès de zèle… les organisateurs sont dépassés par l'événement malgré le renfort policier. L'évidence ne fait que se confirmer : Aït Menguellet ne se programme pas dans une telle salle. Impressionnante, la foule a soif de voir et écouter le poète venu animer un gala de solidarité pour le compte de l'association des diabétiques d'El Kseur. Malheureusement, certains ont dû étancher leur soif au prix de vexations. A ce niveau, l'organisation a été défaillante. A l'intérieur, les places ont affreusement manqué au moment où une longue rangée est réservée aux officiels et occupée par des «assimilés». La presse est ignorée comme toujours. Le gala, prévu pour 22h, est retardé d'une demi-heure. La proximité de la maison de la culture avec une mosquée est devenue pesante depuis ces derniers Ramadhan. Depuis l'interdiction, sous la poussée islamiste, du Festival du rire, l'esplanade ne reçoit plus aucun gala. C'est après les «tarawih» que le gala d'Aït Menguellet peut donc commencer. L'effacement du calvaire aussi. Le pied droit sur la chaise, comme un rituel, le poète égrène des titres qui ont fait sa riche carrière de 50 ans : Kret anebdut tikli (Commençons notre chemin), Tefkam lqima iw awal (Vous avez valorisé la parole), Ur yetsadja (Ne me quitte pas)… Les succès qui ont bâti ses fameuses «années d'or» sont interprétés, au grand bonheur du public qui les reprend d'une seule voix comme si elles sont les siennes. D aghriv ur zegragh lebhar (Emigré dans mon pays), Sligh iw taksi (J'ai entendu le taxi), Ma selbegh (Si je perds la raison), Tabratt n slam (Ma missive), Tafat n dunit-iw (Lumière de ma vie), Achhal i hedregh fellam (J'ai tant parlé de toi)… s'enchaînent comme des bouts d'or, sous la baguette de Djaâfar, son fils. C'est autant de titres qui sont nés d'une poésie de tayri, d'amour, enveloppée par les sons mesurés d'une guitare sèche et d'une derbouka. C'est à la magie de cette association prodigieuse que tiennent «les années d'or» d'Aït Menguellet. Mais depuis, sa musique s'accompagne de basse, batterie, synthé, violon, profondeur philosophique… et de la touche de Djaâfar. Sept musiciens sur scène. La salle a applaudi fiévreusement, offert des youyous, hurlé sa joie, dansé et chanté notamment en faisant la chorale, à la demande, inhabituelle, du chanteur, pour Ughaled ay udhrif (Reviens moi bien-aimé). La voix de Zahra, qui a formé un duo avec Aït Menguellet dans ce titre, est démultipliée en mille voix féminines et masculines, chaudes et fidèles. Comme pour rendre hommage à ce public en or, Aït Menguellet interprète aussitôt Iwigad iw (Aux miens), la seule chanson de la soirée tirée de son tout dernier album. C'est le moment que choisit un groupe de fans constitué sur Facebook pour exhiber une suite de pancartes : «Sur les traces d'Aït Menguellet, 50 années ensemble». Et replongée dans les morceaux d'anthologie : Aka idas yehwa i lmektub (Le destin en a voulu ainsi), Telt yam (Trois jours). La salle, ivre de joie, explose lorsque commence JSK. Aux cris de «Imazighen ! Imazighen !», le public salue le chanteur qui conclut la première partie du spectacle avec un généreux retour au meilleur de ses succès des années 1970 qui font de l'ombre à toute sa production d'après, à essence politique et philosophique, comme Ay ahedad wer n ssin, Chna amehbul, Ettes ettes, Aberwak et Almusiw qu'il a chanté avant de clôturer la soirée avec Ketchini ruh (Pars sans moi), hymne à la nostalgie de tamurt. La magie des années d'or fonctionne toujours. Comment le chanteur le perçoit-il ? «Ça me fait plaisir. Ceux qui m'ont accompagné pendant 50 ans ont gardé une jeunesse d'âme. Il leur reste beaucoup de leur jeunesse. Il n'y a pas mieux que le chant et la poésie pour qui veut alléger son cœur. Ils en sont conscients et j'espère que nous pourrons continuer comme ça», répond-il à une question d'El Watan. «Je souhaite qu'il y ait d'autres soirées comme celle-ci et que nous ne tarderons pas à revenir», a déclaré à la presse Lounis Aït Menguellet qui clôture ainsi sa tournée dans le pays, avant de se produire aujourd'hui à Marseille.