Le processus de privatisation engagé, non sans difficultés, au milieu des années 90' par les ex-holdings publics et subitement suspendu par la loi de finances complémentaire pour l'année 2009 a-t-il des chances de reprendre sous la houlette de l'actuel Premier ministre, Ahmed Ouyahia, qui avait, en tant que chef du gouvernement, donné son aval au premier train de privatisations qui s'était soldé par la vente de 450 entreprises publiques. Au vu des tirs croisés qu'il subit de la part du FLN, du PT de Louisa Hanoune, et du brutal rappel à l'ordre que lui a infligé le président Bouteflika, tout porte à croire qu'il ne le pourra pas. Le contexte prééléctoral propice aux intrigues et aux coups bas ne l'aide également pas à engager ce type de réformes, différemment appréciées selon qu'on est dans un camp politique ou dans d'autres. Sujet ultra sensible, la privatisation a de tout temps été un terrain favorable à toutes sortes de manipulations visant à déstabiliser celui qui a le courage de changer le mode de gestion rentier, ruineux et totalement sclérosé, qui préside au destin du secteur public économique depuis plusieurs décennies. C'est un secteur tout le temps géré de manière idéologique par une caste au pouvoir, appuyée par d'éternels «barons» qui tirent de larges profits des entreprises publiques pour la plupart exsangues mais qui ont encore des choses à leur donner. Cette mainmise de laquelle aucun gouvernement n'a pu la tirer fait perdre un temps précieux à l'Algérie qui se voit ainsi distancée par pratiquement tous les pays du monde, et c'est pourquoi la privatisation du secteur public économique est depuis longtemps achevée, laissant place à un secteur privé de plus en plus consistant et entreprenant. L'ex-président Lamine Zéroual et l'actuel chef de l'Etat Abdelaziz Bouteflika avaient bien compris la nécessité de privatiser au plus tôt les entreprises publiques moribondes, cédant ainsi près de 450 unités à des acquéreurs privés nationaux et étrangers, mais si le premier n'a pas suffisamment duré à son poste pour privatiser davantage, le second a par contre pris de lui-même et sans aucune explication la décision de bloquer le processus de privatisation qui était pourtant largement engagé. Pour ce faire, il a introduit une disposition ordonnant l'arrêt des privatisations dans la loi de finances complémentaire pour l'année 2009. Une disposition qui a provoqué la remise en question de centaines de privatisations multiformes (privatisations totales, privatisations partielles, partenariats publics-privés, privatisation du management, etc.) faisant perdre au pays des recettes considérables tout en jetant le discrédit sur un pays qui ne tient pas ses engagements. Toutes ces entreprises déstructurées (il en existait plus de 600 à cette époque) qu'on a refusé de privatiser sont aujourd'hui en état de faillite, incapables de payer régulièrement les salaires des travailleurs, leurs fournisseurs et, bien entendu, leurs impôts et taxes. L'Etat devra à nouveau les renflouer pour qu'elles aient encore un semblant d'existence. Echec recommencé En effet, au moment où de nombreux pays engageaient des vagues de privatisations affectant les plus grosses sociétés étatiques (cas des pays de l'ex-URSS, de la Tunisie et du Maroc par exemple), le chef de l'Etat affirmant subitement lors d'un discours prononcé un été 2008 devant les élus locaux, qu'il s'était trompé de politique économique a suspendu quelques mois après au moyen d'une simple loi de finances complémentaire le processus de privatisation qui devait désengager l'Etat algérien d'environ 1200 entreprises publiques économiques dont une bonne partie souffrait de graves dysfonctionnements économiques et financiers. Sans crier gare, les Sociétés de gestion des participations (SGP) étaient subitement sommées de mettre fin aux procédures de cessions engagées en faveur de repreneurs nationaux et étrangers, mettant ainsi toutes les parties prenantes dans l'embarras. Toute la philosophie des réformes de 1988 venait ainsi d'être chamboulée par cette loi de finances complémentaire qui fixe de nouvelles conditions pour les Investissements directs étrangers (IDE) avec obligation pour le partenaire national de détenir au minimum 51% du capital, mais plus gravement encore, l'imposition d'une période d'observation de 5 années avant d'autoriser les entreprises privatisables à céder la totalité de leurs actions à leurs repreneurs. Ces conditions, qui s'apparentent à un refus à peine déguisé de ne plus privatiser les entreprises publiques, a du reste rapidement porté ses fruits puisque plus aucun acheteur étranger ne s'est depuis emballé pour l'achat des entreprises qui leur avaient été proposées. La déception était grande chez tous les investisseurs algériens qui s'étaient portés acquéreurs, tant l'instabilité juridique qu'ils redoutent par-dessus venait concrètement de s'installer en Algérie. Les acquéreurs étrangers se sont, quant à eux, rapidement envolés vers d'autres cieux sous lesquels les privatisations s'opèrent dans de bien meilleures conditions. Ce blocage intempestif des privatisations d'actifs publics a empêtré encore davantage l'Etat algérien dans la gestion de ces centaines entreprises, pour la plupart en grande détresse économique et financière, auxquelles il doit désormais consacrer des capitaux de plus en plus importants pour les assainir et les recapitaliser. Il est vrai qu'à cette période, l'argent du pétrole ne manquait pas et qu'il était donc possible de jouer à un jeu ruineux qui coûtera très cher aux finances publiques. Le maintien sous perfusion (assainissements financiers, recapitalisation, découverts bancaires) aurait, selon les estimations, coûté entre 14 et 16 milliards de dollars au Trésor et, par conséquent, aux contribuables. Les privatisations envisagées devaient pourtant non seulement dégager l'Etat algérien de ces dépenses aussi colossales qu'inutiles, mais aussi et surtout lui permettre de collecter d'importantes recettes résultant des ventes de ces entreprises. Ce désengagement de la sphère marchande devait en outre permettre au gouvernement de porter son attention sur des missions beaucoup plus nobles et gratifiantes que sont, entre autres, la régulation et la surveillance stratégique. Qu'un Etat continue à être partie prenante dans des entreprises assurant des services publics (transport, santé, etc.) cela peut évidemment se comprendre, mais que celui-ci continue à s'immiscer dans la gestion des entreprises qui produisent de banales des marchandises et services (chaussures, boissons, prestations hôtelières, etc.), cela est véritablement insensé. Le poids du politique Ceux qui ont pris la décision de mettre brusquement fin aux privatisations des entreprises publiques marchandes ont à l'évidence fait perdre à leur pays non seulement beaucoup d'argent, mais également l'inestimable occasion de sortir l'économie algérienne de l'état de marasme dans lequel ces décisions intempestives l'ont fourvoyée. En effet, alors que l'Etat a tout avantage à céder au privé national et étranger le maximum de ces encombrantes entreprises qui requièrent de lui beaucoup de temps et d'argent, c'est malheureusement à une situation inverse que l'on assiste avec, notamment, la création par les entreprises publiques de nombreuses filiales dont les pouvoirs publics vont devoir s'occuper d'une manière ou d'une autre. Il faut bien savoir que durant ces dix dernières années ce sont pas moins de 1200 nouvelles sociétés filiales que les entreprises publiques économiques, transformées pour la plupart en sociétés de groupes ou holdings ont été créées. Comme si le secteur public économique avait peur de disparaître sous l'effet des privatisations que les barons du secteur avaient brandi comme un épouvantail, toutes les EPE sans exception se sont mises à constituer avec l'assentiment des plus hautes autorités de l'Etat des sociétés filiales, pour la plupart sans objet clair, mais surtout sans avenir. Ce ne sont rien d'autre que des rentes que l'on offre à des amis rentiers. Dans ces conditions, il sera bien difficile de reprendre le train des privatisations tant la longue période de suspension a produit d'effets pervers qui ont considérablement compliqué la donne. Sans remettre en cause la compétence d'Ahmed Ouyahia qui sait parfaitement ce que privatiser veut dire et fait courir comme risques au pays, il est parfaitement clair que la partie sera bien difficile pour lui. Il n'y a pas comme en 1995 des accords avec le FMI derrière lesquels il pourra s'abriter pour justifier les décisions impopulaires ni la crainte du terrorisme pour faire taire le mécontentement des travailleurs qui perdront leurs emplois. C'est dire qu'avec ou sans Ouyahia, le désengagement de l'Etat de la gestion du secteur public économique ne sera pas pour demain tant il requiert une mise à niveau des lois relatives aux cessions d'actifs publics et un dialogue social constructif qui n'est malheureusement pas permis en cette période de grande incertitude politique. La fin de la gestion clientéliste et rentière de cette profusion d'entreprises publiques n'est, par conséquent, pas envisageable avant de nombreuses années. Par leurs maigres performances économiques et financières, ces dernières continueront donc longtemps encore à appauvrir le pays.