Résumé de la 1re partie n Un vieillard se présente chez les trois tolba. Cette visite les dérange car c'est le soir où ces derniers préparent un gigot, mets qu'ils ne mangent qu'une fois par mois... C'est très simple. Je vais lui dire que la coutume dans notre zaouia est la suivante : le gigot qui est notre régal exceptionnel, nous le faisons cuire le soir. Mais ce n'est que le lendemain matin qu'on décide de celui qui le mange. Pendant la nuit, chacun rêve. Mange tout seul le gigot celui qui raconte le plus beau rêve. Alors, mon plan est clair : «Toi, Ahmed, dit-il au premier taleb, tu raconteras que ton rêve t'a amené à visiter les sept cieux. «Toi, Moussa, dit-il au troisième compagnon, tu nous expliqueras comment ton rêve t'a fait visiter les sept terres. Or, après les sept cieux et les sept terres, moi qui resterai juge, je décréterai que toutes les merveilles du monde étant épuisées, le gigot ne saurait revenir à un autre.» Les deux confrères se félicitèrent d'avoir un ami si astucieux. Le trio revint dans l'ermitage et raconta le propos au vieillard qui fut sans doute un peu déçu, mais donna sa petite obole de participation, puis se drapa dans son burnous et s'endormit dans l'espérance du lendemain. Les trois tolba en firent autant et, comme les jeunes hommes ont le sommeil lourd, ils dormirent jusqu'au matin. Mais le vieillard ne les entendit pas plus tôt ronfler qu'il se leva. La faim le tenaillait ferme. Il souleva délicatement le couvercle de la marmite, détacha un minuscule petit bout de l'extrémité du gigot et le savoura. Quel délice ! Il ébrécha encore avec discrétion une tranche très mince de sa partie pleine, puis, de bout en bout et jusqu'au bout de la nuit, ne laissa que l'os. Au matin, nos trois gaillards se levèrent. Chacun fit ses ablutions. Puis on prit ensemble le café. Le deuxième taleb présida enfin à l'ouverture de la séance littéraire dont il avait si minutieusement réglé le scénario : «Tu as la parole, Ahmed... A quoi as-tu rêvé ?» Et Ahmed, les yeux en extase, dit qu'il descendait du septième ciel, son rêve l'ayant promené à travers les délices des sept cieux superposés. Sa description fut éblouissante. «C'est bon. Mais toi, Moussa, ton rêve peut-il rivaliser avec celui de Ahmed ? — Certainement. Car les promenades dans les cieux conservent un certain flou que n'ont pas les promenades terrestres. Sur notre planète, les beautés de la nature et des créatures sont infiniment plus réelles et plus sensibles. Or, mon rêve m'a fait visiter les sept terres. — Dans ces conditions, je crains, ô Cheikh, que votre compétition ne devienne difficile. Qu'avez-vous rêvé ?» Le vieillard se passa la main sur sa figure crispée comme pour éloigner un relent de cauchemar : — «J'ai fait, dit-il, un rêve atroce. Je dois vous avouer que j'ai été élevé par un oncle très méchant, brutal, ivrogne, malfaiteur, voleur. Il est mort et son sort éternel est certainement réglé car, cette nuit, je l'ai vu sortir de l'enfer, le visage noirci, les yeux comme des braises, brandissant sur moi une énorme kalbouza (massue de fer) chauffée au rouge en me disant : «Tu vas immédiatement manger ce gigot, sinon tu me suivras en enfer sur-le-champ !» Je n'ai pas osé lui résister. Vous m'en excuserez. Ce n'est vraiment pas ma faute. Qu'eussiez-vous fait à ma place ?» Les tolba, inquiets, s'approchèrent de la marmite, soulevèrent le couvercle et ne découvrirent que l'os. Alors, le second taleb de s'écrier : «Que fais-tu donc dans la vie, ô vieillard ? — Je suis un vieux taleb»... dit l'autre en baissant pudiquement les yeux. Un grand éclat de rire fusa de la poitrine des trois apprentis casuistes devant cette déclaration : ils avaient trouvé leur maître !