Paradoxe n L'Europe qui veut bien ouvrir les frontières du monde pour consacrer la libre circulation des marchandises, les referme davantage devant les personnes. Quelques jours seulement après le drame des clandestins, survenu au large des côtes de la Libye, l'Union européenne (UE), par la voix de son commissaire à la sécurité Jacques Barrot, a invité ce pays à une «coopération plus étroite» pour la lutte contre l'immigration clandestine. «La Libye a accepté cette demande, mais elle a demandé, a indiqué M. Barrot, des financements et des moyens logistiques pour surveiller sa frontière sud», par où près de 2 millions de candidats transitent pour tenter la traversée vers l'Europe. Une démarche qui illustre bien la volonté de l'Europe de déléguer aux Etats africains, laminés par la pauvreté et l'instabilité politique, le problème de l'immigration clandestine et de «repousser», coûte que coûte, ces milliers de clandestins vers leur pays d'origine. Outre cette démarche, l'UE a multiplié ces dernières années les efforts afin de mettre un terme à ces flux migratoires qui commencent à devenir «incontrôlables». Pour atteindre cet objectif, de nombreuses actions ont été mises en place comme la création de la Frontex en 2004 (agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l'Union), l'adoption par des pays membres d'une politique de l'immigration choisie, la chasse massive aux clandestins et leur expulsion, etc. L'Europe a même adopté une loi punissant les employeurs des sans-papiers pour leur arracher une main-d'œuvre moins chère de près de «8 millions de clandestins travaillant dans le bâtiment, l'hôtellerie et l'agriculture». L'Italie de Silvio Berlusconi est allée jusqu'au bout de sa logique, en exigeant des médecins de dénoncer les patients soupçonnés être des clandestins, mais les médecins ont refusé cette humiliation en répondant : «Nous sommes des médecins pas des espions.» En déplorant, pour sa part, un «piège mortel tendu aux frontières de l'Europe», le porte-parole de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), Jean-Philippe Chauzy, a déclaré récemment à Genève : «Ces contrôles ont un effet pervers en poussant les filières d'immigration clandestine à trouver d'autres routes encore plus dangereuses.» Les chiffres démontrent, tout à fait cette tendance des harragas à vouloir atteindre l'eldorado quitte à s'y échouer, en cadavre ou en prisonnier, dans les centres de rétention. Plus qu'un piège mortel, l'Union veut signifier aux clandestins fuyant la misère et les guerres civiles, que l'Europe n'est pas la terre promise. Jacques Barrot explique très bien cette volonté avec cette déclaration à peine voilée. «Nous ne pouvons pas accueillir toute l'Afrique en Europe. Ce ne serait pas possible», a-t-il affirmé. Paradoxalement, cette même Europe est engagée dans un processus de mobilisation de tous les moyens pour faciliter la mobilité et la libre circulation des marchandises et des capitaux vers et depuis ces mêmes pays considérés comme les pourvoyeurs de clandestins. «La mondialisation est asymétrique» n L'argent circule librement, les biens tendent à circuler de plus en plus librement, mais les obstacles sont nombreux pour les mouvements de population. C'est un paradoxe», a dénoncé, en effet, M. Guterres, le haut-commissaire aux réfugiés.