Photo : S. Zoheir Par Salah Benreguia La filière lait en Algérie vit-elle une crise profonde ? Existe-t-il réellement un risque de rupture de stock au niveau de certaines laiteries ? Ces questions méritent d'être posées à quelques jours du mois sacré de Ramadhan, compte tenu de la polémique déclenchée récemment entre les différents intervenants dans la filière lait en Algérie. Si les différents organismes publics dont dépend cette filière, entre autres l'Office national interprofessionnel du lait (ONIL) et le Conseil interprofessionnel du lait (CIL) tentent de rassurer les consommateurs quant à la disponibilité du lait en sachet durant cette période de grande consommation (les ménages consomment trois fois plus de lait qu'en temps normal), les producteurs, quant à eux, tirent la sonnette d'alarme et estiment que la situation n'a pas changé d'un iota. En clair, un bon nombre de laiteries de l'Ouest, du Centre et de l'Est ont épuisé tout leur stock en poudre de lait et se sont retrouvées à l'arrêt voilà plus de dix jours. Autrement dit, au rythme où évoluent les choses, les opérateurs du lait voient rouge et ne semblent guère rassurés sur la production de lait dans les prochains jours. Pis, certains opérateurs ne cachent pas leur pessimisme en soutenant que le problème risque de s'accentuer à l'avenir si l'approvisionnement ne se fait pas d'une manière régulière. Beaucoup, parmi eux, continuent à se plaindre de l'insuffisance de la quantité de poudre de lait distribuée, des retards accusés dans l'approvisionnement des unités de production et d'autres blocages qui freinent cette filière. Si la réunion tenue, à la mi-juillet passée, entre les responsables de l'ONIL et les transformateurs de lait a débouché sur des solutions prises en concertation pour assurer un approvisionnement régulier du marché durant le mois de Ramadhan, le constat, selon ces opérateurs privés, est toutefois sans appel. En termes simples, le calendrier défini fixant la distribution de la poudre pour chaque laiterie au niveau national n'a pas été respecté. «Le jour où je suis parti prendre mon quota de poudre à l'ONIL, j'ai été surpris d'apprendre que je n'avais droit qu'à 50% de la quantité fixée. On m'a informé sur place que je prends une partie cette semaine et la deuxième partie à partir du 10 août», selon un producteur privé cité par la presse nationale. Le lait en poudre est-il réellement disponible ? Si les déclarations des différents responsables de l'ONIL tendent vers l'assurance, il n'en demeure pas moins que quelques indices montrent le contraire. En effet, depuis quelque temps, une chaîne de camions appartenant aux transformateurs de lait font la queue devant les unités de stockage de l'ONIL pour pouvoir s'approvisionner en poudre de lait. Et ce sont des queues interminables. «Pourquoi nous donner la moitié du quota et nous faire attendre, alors que la quantité du lait en poudre est largement suffisante selon l'ONIL ?» s'interroge un autre opérateur. L'autre problématique posée par ces opérateurs privés est que même les prix pratiqués sur le marché parallèle sont très élevés, ce qui exclut, de facto, tout une autre source d'approvisionnement. «Nous avons pensé combler cette différence en nous approvisionnant sur le marché parallèle. Mais les prix sont trop élevés ces derniers temps», estiment-ils. Face aux inquiétudes des laiteries nationales, les différents intervenants dans ce créneau d'activité assurent que le gros de la poudre importée a été mise sur le marché avec une bonne régulation pilotée par l'Office national interprofessionnel du lait qui déploie, également de son côté, des efforts pour parvenir à alimenter régulièrement et convenablement les transformateurs de lait sur tout le territoire. Selon Abdelwahab Ziani du syndicat des producteurs et transformateurs de lait, «il n'y a pas de pénurie de lait en Algérie». Selon lui, «le ministère de l'Agriculture a fait beaucoup d'efforts dans le but de satisfaire les besoins en matière de consommation laitière». «120 000 tonnes de lait en poudre ont été mises sur le marché cette année», a-t-il indiqué à la fin du mois de juillet dernier. Un autre opérateur a estimé, de son côté, que «cette quantité est largement suffisante pour couvrir les besoins de consommation de lait en Algérie». Et d'ajouter que «les services concernés par le contrôle doivent sanctionner les actes de dilapidation de cette matière, constatée surtout au niveau de certains marchands de glaces ou encore des yaourts». L'assainissement de la filière est vivement recommandé. Face à cette situation qui rappelle, à coup sûr, les années 80, les professionnels de la filière lait, affiliés à la Confédération des industriels et producteurs algériens (CIPA), estiment qu'«il est impératif de lancer une véritable réflexion en vue de réglementer l'activité laitière». «Le quota de poudre de lait accordé mensuellement par l'organisme régulateur est en deçà de la capacité de production de l'unité de transformation», indique à ce sujet la CIPA. La même source, qualifiant de «draconien» le mode de distribution de la poudre de lait aux transformateurs, relève l'échec de la politique d'encouragement de la collecte de lait et appelle les pouvoirs publics à s'investir «concrètement dans la politique d'acquisition de vaches laitières et de collecte de lait cru». En tout état de cause, la crise actuelle montre surtout que l'organisation de la filière est loin d'être achevée. Une filière stratégique d'autant que l'Algérie est parmi les gros consommateurs de lait dans le monde, en témoignent les grandes quantités importées. En effet, notre pays importe annuellement de grandes quantités de poudre de lait (pour un montant avoisinant les 3 milliards de dollars) que l'ONIL distribue depuis la crise alimentaire mondiale de 2008 à travers le système de quotas. La décision du gouvernement d'encourager l'intégration du lait cru dans le système de production ne semble pas avoir produit les résultats escomptés. Il reste à espérer que l'enveloppe de 130 milliards de dinars, dégagée dans le cadre du programme quinquennal 2010-2014 pour le soutien des filières stratégiques (lait, pomme de terre et céréales), contribuera à améliorer la production d'une filière fortement dépendante des importations.