AFRIQUE RENOUVEAU : Pour beaucoup, la corruption concerne essentiellement le secteur public. Pourtant, vous vous concentrez sur les milieux d'affaires… Georg Kell : Souvent, les uns et les autres se renvoient la balle. Le secteur privé accuse le secteur public. Celui-ci rétorque que c'est le secteur privé qui est l'instigateur. En vérité, du fait de l'offre et de la demande, tous les deux sont complices. Mais il est vrai que plus les pouvoirs publics interviennent dans l'activité économique en général, plus il y a d'abus et de corruption. La corruption, selon les experts, est un problème structurel touchant l'ensemble de la société. Elle concerne aussi bien le secteur privé que le secteur public. Elle touche à l'éducation, au système économique de base, au système de réglementation, à la gestion de l'économie et, plus généralement, aux valeurs éthiques. En principe, si les règles du jeu sont claires et appliquées, si l'on fait la distinction entre la concurrence dans le secteur privé, d'une part, et la réglementation et les entités publiques, d'autre part, les risques de corruption sont moindres. En Afrique, l'État est généralement très faible et ses pouvoirs limités… Dans la plupart des pays, depuis l'adoption de la Convention des Nations unies contre la corruption en 2003, la corruption relève du droit pénal. Le problème, c'est comment appliquer la loi. L'aptitude des institutions publiques à faire respecter et à appliquer les instruments que les plus hautes autorités de l'Etat ont ratifiés est en partie liée à la capacité institutionnelle. Mais il s'agit aussi de fixer les priorités, ce qui est jugé important. La nouveauté aujourd'hui, à la différence d'il y a dix ans, c'est que les entreprises demandent que les règles du jeu soient clairement définies. Il y a dix ans, elles ne défendaient que le libéralisme, arguant que toute forme de réglementation est mauvaise. Aujourd'hui, elles disent que si la répression de la corruption ne produit pas de bons résultats, rien d'autre n'en produira. Les entreprises africaines partagent-elles cet avis ? J'étais récemment à l'une de nos réunions régionales des réseaux africains du Pacte mondial - nous avons des réseaux dans une quinzaine de pays africains. A mon grand étonnement, tous les chefs d'entreprise, quel que soit leur pays, disaient que la priorité pour eux était de réduire la corruption et de créer un environnement propice pour l'obtention de licence d'importation ou d'exportation notamment. La question des paiements à effectuer revient toujours. «Nous devons payer tellement d'acteurs institutionnels que ces coûts des transactions nous portent préjudice», disaient-ils. Les chefs d'entreprise africains considèrent donc la corruption comme la première priorité. Comment convaincre une entreprise de cesser de verser des pots-de-vin, surtout dans les pays où la corruption est généralisée et où beaucoup d'autres entreprises versent des pots-de-vin ou des dessous-de-table pour obtenir des marchés ? C'est le problème fondamental. Si à titre personnel, je dis non aux pots-de-vin, à l'extorsion et à la corruption et que mon concurrent obtienne le marché, je subis un préjudice. La réponse à cette question est double. Il faut adopter des politiques pour améliorer la situation. Dans mon pays d'origine, l'Allemagne, il y a quelques années, les pots-de-vin pouvaient être déduits de l'impôt. C'est seulement récemment que l'Allemagne et d'autres pays de l'OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] ont pris au sérieux la corruption.L'action collective est la seule voie à suivre. Il faut mobiliser un certain nombre d'entreprises animées du même esprit qui conviennent toutes qu'elles seraient mieux loties s'il y a moins de corruption. C'est ce que nous avons déjà fait dans quelques pays. Les gouvernements africains veulent attirer l'Investissement étranger direct (IED). Ce faisant, sont-ils parfois moins vigilants qu'ils devraient l'être ? Au vu de la nécessité de créer des emplois et d'améliorer les conditions de vie d'un grand nombre de personnes, on peut comprendre leur désir d'attirer l'IED. Les pays d'Asie, en particulier la Chine, étant devenus d'importants acteurs dans ce domaine, le nombre d'investisseurs potentiels s'en trouve accru. C'est une bonne chose pour les pays africains, d'autant qu'ils ont maintenant plus de choix et que, il faut l'espérer, leur aptitude à négocier s'en trouvera renforcée. Lorsqu'on jette un regard sur les initiatives anticorruption en Afrique, on se rend compte souvent que les organisations de la société civile et les médias ont joué un rôle-clé… La notion de transparence et la participation de différents acteurs est très importante. C'est par la transparence qu'on peut vraiment lutter contre la corruption. Plus les sociétés sont ouvertes et plus l'information circule, plus il sera facile de lutter contre la corruption. Fondamentalement, lutter contre la corruption implique une bonne gouvernance au niveau des entreprises. On ne peut assurer une gestion propre de l'environnement et faire respecter les droits de l'Homme si l'on n'a pas une idée claire du besoin de transparence et de divulgation de l'information et si l'on ne dispose pas de règles clairement définies dans un cadre éthique. C'est fondamental. De manière générale, je suis très optimiste qu'un nombre croissant d'entreprises souscriront à cette action. Non pas parce qu'elles craignent d'être prises en défaut, mais plutôt parce qu'elles ont intérêt à respecter les principes éthiques. In Afrique Renouveau, magazine de l'ONU