Photo : Riad De notre correspondant à Tizi Ouzou Malik Boumati Sur la route menant du centre-ville vers la haute ville, à la rue Moh Djerdjer Mitiche et face à la mosquée Lalla d'Mamaya, un cafetier met à la disposition de ses clients trois fois plus de tables que d'habitude. Son astuce : occuper une partie de la chaussée, en plus du large trottoir qu'il squatte entièrement. Plus encore, des tables sont aussi déployées plus bas, à la faveur de la fermeture des deux commerces mitoyens. Donc, vingt minutes après le f'tour, la moitié des tables est déjà occupée par des clients pressés de commencer leur partie de dominos ou de guinche. Un tour en ville montre que pratiquement tous les cafetiers profitent du mois de Ramadhan pour squatter les trottoirs, le nombre de clients se multipliant par deux ou trois, comparativement aux autres mois de l'année. Les autorités laissent faire, malgré le caractère illégal de ce phénomène. Sans doute le meilleur moyen d'acheter la paix sociale sans grande perte, ni grand effort. Ville indécise Entre-temps, les rues de la ville ne sont pas animées. La ville est indécise. En dehors des cafés maures et des deux crémeries, la présence humaine sur les trottoirs de la ville des Genêts reste minime. Tizi Ouzou reste à cette heure de la journée un «EMP», comme l'appelle le génie humoristique populaire, ou un «environnement masculin pluriel». Et les différentes rues et ruelles de la ville restent désertes de ses femmes. Occupées qu'elles sont avec la vaisselle et le ménage. Elles sont, en effet, rares les femmes qui sortent en ville pour une balade insouciante. Il est approximativement 21h, des barbes, des qamis et des hidjab font leur apparition en nombre. Il est bientôt l'heure de la prière d'el îcha et des longues rakâat des tarawih, et les pratiquants se dirigent vers les mosquées de la ville pour leur prière. La ville retrouve un semblant d'animation. Une animation qui n'en est pas une puisqu'elle se termine vite aux portes des mosquées où les hauts parleurs font partager la prière des tarawih avec toute la ville.A quelques dizaines de mètres de la mosquée Cherfaoui du centre-ville, des petites grappes de femmes et/ou de familles font leur apparition. Leur destination est toute indiquée : la maison de la culture Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou où des spectacles de chant sont proposés tous les soirs depuis le premier jour du mois de Ramadhan. La salle de spectacles de cette institution culturelle ne connaît pas les grandes foules en ces premiers jours du mois de jeûne, la programmation ayant opté pour la deuxième quinzaine pour les grands artistes. De l'autre côté de la ville, d'autres grappes convergent vers le théâtre régional Kateb Yacine de Tizi Ouzou où des pièces de théâtre sont présentées quotidiennement en soirée. C'est pratiquement la même consistance que pour les spectacles de chant, mais là, cela reste de bon augure pour le quatrième art qui a perdu son public durant sa descente aux enfers qui n'a que trop duré. Maison de la culture et théâtre régional La présence de la gent féminine embellit réellement les soirées de la ville. Les hommes, notamment les jeunes, se gardent d'embêter les femmes même quand elles sont seules, et se contentent de les regarder pour ne pas les faire fuir et faire de Tizi Ouzou un grand EMP à ciel ouvert. Il est 22 h passées et les rues de Tizi Ouzou sont brusquement envahies par les familles de la région. Sur l'avenue Abane Ramdane, la grand-rue, les trottoirs sont trop étroits pour autant de monde. Du jamais vu en soirée à Tizi Ouzou où les commerces baissent leurs rideaux trop tôt faisant de Tizi Ouzou une ville fantôme. Une crèmerie servant de la crème glacée, du jus sorbet et des crêpes au chocolat, située aux ex-galeries, n'arrive pas à faire face au déferlement des clients. Seul point noir de ce côté-ci de la ville, les rues perpendiculaires à la grand-rue ne sont pas du tout éclairées. La mairie de Tizi Ouzou a besoin de faire un petit effort supplémentaire dans ce domaine, et dans beaucoup d'autres secteurs comme le ramassage des ordures qui ne se fait toujours pas de façon optimale, des décharges sauvages continuant à agresser les yeux et les narines.La rue parallèle à l'avenue Abane Ramdane, Mohamed Khemisti, connaît également une forte circulation piétonne, notamment la gent féminine qui semble avoir pris la résolution de donner un coup de pied à l'archaïsme de la société, en sortant se balader en masse dans différentes rues et ruelles de la ville des Genêts. Mais faute d'éclairage encore, son extension, la rue des frères Sidi Maâmar est dramatiquement déserte, pourtant, seulement une petite ruelle sépare les deux rues. A quelques pas de là, deux boulevards parallèles donnant vers le rond-point principal de la ville grouillent de monde. Les rues Mohand-Saïd Ouzeffoun et colonel Ali Mellah avec plusieurs de leurs magasins ouverts sont assaillies par des centaines de personnes dont des femmes, des personnes âgées et des enfants. Des adolescents et même des enfants sont aussi nombreux autour du jet d'eau de ce rond-point ainsi que sur la place de l'ancien siège de la mairie de Tizi Ouzou, qui peine encore à devenir musée, malgré les travaux de restauration dont il a bénéficié. Et les clients ne manquent pas chez les deux vendeurs de cacahuètes et de thé qui ont installé leurs tables contre le siège de Sonelgaz et devant l'ex-siège de la mairie. Les femmes en force Les femmes semblent se suffire d'une balade nocturne dans les rues de la ville, tant que cela les éloigne de la cuisine et de la vaisselle, ainsi que de la chaleur régnant dans les foyers. A la recherche d'un peu de fraîcheur et de «dégourdissement» de jambes, certaines d'entre elles profitent de leur sortie pour s'offrir des sorbets, notamment au niveau de deux crèmeries sises au boulevard colonel Ali Mellah, à quelques mètres l'une de l'autre. Deux crèmeries qui squattent le trottoir pour permettre à un maximum de monde de profiter de la fraîcheur des soirées en dégustant un cornet ou une coupe de sorbet glacé. Pratiquement, le seul endroit où les femmes, en familles, acceptent de faire des haltes, les autres établissements de la ville étant des cafés maures fréquentés exclusivement par les «mâles» et leurs parties de cartes et/ou de dominos. Désormais, la gent féminine s'impose de plus en plus dans la société algérienne en général et kabyle en particulier. Les rues de Tizi Ouzou sont de plus en plus agrémentées par la présence du sexe «faible» qui donne des couleurs à la ville des Genêts et cache un tant soit peu toutes les saletés qui jonchent ses trottoirs et même ses chaussées. Désormais, entre Tizi Ouzou et la gent féminine, il y a une belle fusion nocturne qui doit survivre à la bêtise. Surtout que les échos qui arrivent de la nouvelle ville, cette cité dortoir créée dans les années quatre-vingt avec zéro politique urbanistique, sont plutôt en faveur de cet état de fait, ses différents quartiers ayant connu un énorme déferlement de familles à la recherche d'un peu de fraîcheur et de liberté. Sécurité renforcée Tout cela, sous le regard et la vigilance d'un nombre impressionnant d'éléments de la Sûreté nationale éparpillés dans chaque coin de rue. En effet, un dispositif de sécurité impressionnant a été mis en place dans la ville de Tizi Ouzou, à l'occasion du mois de Ramadhan. Qu'ils soient à bord de véhicules ou en patrouille pédestre, il n'y a pas un endroit où l'on ne trouve pas deux à quatre agents des différents services de la police, munis pour certains de matraques, prêts à réprimer tout éventuel délit ou même écart, notamment envers les familles nombreuses qui ont envahi les rues de la ville et sa périphérie. Et vu l'ampleur jamais vue que la présence familiale a connue en ce mois de ramadhan, l'impressionnante présence policière est plutôt bien accueillie par les familles de Tizi Ouzou.