Les "Gilets jaunes" appellent à une nouvelle journée de mobilisation samedi, à Paris et ailleurs en France, qui donnera une première idée de la réussite - ou non - du "grand débat national" imaginé par Emmanuel Macron comme une réponse à la crise ouverte il y a deux mois quasiment jour pour jour. Ce dixième épisode est en effet le premier depuis le début du débat, un exercice de délibération à l'échelle du pays dont le chef de l'Etat a donné le coup d'envoi en répondant longuement et par deux fois à des centaines de maires en écharpe, mardi dans l'Eure puis vendredi dans le Lot. Cette fois-ci, certains "Gilets jaunes" prévoient de défiler dans la capitale, le long d'un parcours en boucle partant des Invalides et passant par le quartier ultra-sensible des ministères, sur la rive gauche de la Seine. Mais, comme de coutume depuis trois mois, il est impossible de savoir par avance à quoi ressembleront les manifestations, le plus souvent non déclarées et organisées par des particuliers, en dehors de toute tutelle syndicale ou politique. Il y aura "beaucoup de forces de l'ordre dans la rue", a prévenu le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, qui avait déployé 80.000 policiers et gendarmes la semaine dernière. A nouveau, les autorités surveilleront deux jauges : l'affluence dans les cortèges et le niveau de violence dans les rues de Paris et des autres grandes villes. Le 12 janvier, le neuvième épisode s'est traduit par un sursaut de la mobilisation, avec plus de 84.000 manifestants recensés par le ministère de l'Intérieur contre 50.000 la semaine précédente, et une diminution de la tension même si des échauffourées ont éclaté, çà et là. Ces derniers jours, l'attention s'est focalisée sur les blessures infligées aux manifestants par les lanceurs de balle de défense (LBD), des armes intermédiaires employées par les forces de l'ordre en pareil cas. Le journal Libération évalue à plus d'une soixantaine le nombre de blessés graves depuis le début du mouvement du fait de tirs du modèle LBD 40, dont 13 auraient perdu un œil. Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a pour sa part demandé au gouvernement de suspendre l'usage de ce genre d'armes. Mais selon Christophe Castaner, qui s'exprimait sur Europe 1, la suppression des LBD de l'arsenal des forces de sécurité les contraindrait à recourir davantage au contact physique et il y aurait "certainement beaucoup plus de blessés". Les "Gilets jaunes", qui ont entamé leur mouvement le 17 novembre, continuent à porter des revendications hétéroclites, de la démission d'Emmanuel Macron à l'instauration d'un référendum d'initiative citoyenne (RIC).
Les "gilets jaunes" ou le pouvoir des réseaux sociaux La crise sociale et politique, née de la contestation populaire menée par le mouvement des "gilets jaunes", a engendré une autre crise celle des médias rendus coupables de s'être, pour les Français en colère, trop rapprochés de la position du gouvernement. Depuis le début de la mobilisation des "gilets jaunes", le 17 novembre dernier, le mouvement a investi les réseaux sociaux avec comme leitmotiv "Manifester, filmer et poster" pour donner une "perception participative et collective" à leur mouvement qui a totalement divorcé avec les médias classiques. A la faveur du changement de Facebook, il y a un an, de son algorithme qui favorise le tri des fils d'actualité, le mouvement des "gilets jaunes" a saisi l'opportunité offerte pour valoriser ses informations, vidéos et posts. De l'avis de nombreux analystes, le mouvement, né aussi des réseaux sociaux, a tiré toute sa force en exploitant leur pouvoir afin de présenter une information alternative où l'image (vidéo) s'impose impérialement devant celles qui sont transmises par les médias classiques, notamment les chaînes d'information en continu. Ces réseaux sociaux ont même joué le rôle de communication pour les mobilisations du mouvement à travers toute la France où des groupes ont été constitués sur Facebook et Twitter et parfois même ils ont été verrouillés pour éviter des intrusions malintentionnées. La bataille médiatique s'est, en quelque sorte, mue vers le terrain des réseaux sociaux qui n'ont pas manqué, a-t-on constaté, d'être affectés par les "fake news", un autre combat dans lequel toutes les parties concernées (gouvernement, police, institutions, "gilets jaunes", sont engagées. Devant le fossé qui s'est creusé entre les "gilets jaunes" et les médias classiques français, détenus en majorité par une oligarchie, il était normal, selon des observateurs, pour un mouvement qui n'a d'ancrage ni partisan ni syndical, d'opter pour la solution qu'offrent les nouveaux médias afin de "pallier à un déficit d'information" ayant trait à cette crise sociale et politique. André Gunthert, enseignant-chercheur en histoire culturelle et études visuelles, a souligné dans une interview à Médiapart que "ce ne sont pas seulement les +gilets jaunes+ qui ont eu un problème d'information, c'est l'ensemble du public qui s'est trouvé face à une désinformation", soutenant que ce "déficit" d'information a avantagé le succès des vidéos. Pour lui, aujourd'hui, il n'est plus possible de maintenir "cette asymétrie" car, explique-t-il, par les réseaux sociaux "viennent les informations de petits canaux". Pour lui, "les médias mainstream n'ont pas fait leur travail d'arbitre entre deux camps qui s'opposent", soulignant que "cela a duré assez longtemps pour que le public le voie, s'adapte et change de paysage informationnel, qu'il se déplace de l'info dite officielle vers l'info alternative pour résoudre ce problème de compréhension". Ce spécialiste a décortiqué le poids des vidéos postées par les "gilets jaunes" dans le traitement médiatique de la crise qui, en faisant valoir qu'elles sont "des documents". "On les regarde pour l'info qu'ils contiennent. Ce ne sont pas des images, des icônes, mais de l'information visuelle", a-t-il dit. Pour sa part, le professeur en information-communication à l'Institut français de presse (IFP), Arnaud Mercier, a écrit dans une contribution au site The Conversation que "l'usage des réseaux socionumériques est particulièrement en phase avec ces évolutions sociales et politiques, où la participation politique est de plus en plus souvent associée à un contenu expressif personnel, à une souffrance, une indignation, qu'on éprouve le besoin de partager avec d'autres pour être reconnu socialement". Ainsi, a-t-il dit, "c'est d'une pétition en ligne que le mouvement est parti. Elle a permis à des centaines de milliers de personnes de se rendre compte qu'ils partageaient le même rejet de la hausse des carburants car cela les étranglait tous financièrement". Par ailleurs, la société Metricool, qui propose des outils de mesure et d'analyse de données issues des médias sociaux, a indiqué que le nombre de publications associées aux "gilets jaunes" ne cesse de s'accroître. Les pics d'activité, a-t-elle ajouté, interviennent généralement les week-end de mobilisation, faisant remarquer que l'activité sur les réseaux sociaux commence à s'étendre à d'autres pays européens.