Après son premier roman les indésirables, publié chez l'Harmattan en 2008, Razik Benyahia fait paraître son deuxième ouvrage, la valse des temps modernes, aux éditions Le lys bleu. Il s'agit cette fois-ci d'un recueil de nouvelles. étudiant à Alger dans les années 1990, l'auteur était témoin de cette période sanglante et il revient avec huit nouvelles car «un traumatisme pareil, explique-t-il, ne peut que sortir d'une manière ou d'une autre, sous quelque forme que ce soit». Ces nouvelles se présentent comme une fresque des années noires, où chaque élément est un récit d'une journée ou deux d'un personnage aux prises avec cette réalité impossible. À Alger, sortir dehors pour aller travailler ou faire des courses pendant cette période devient une loterie, la loterie de la vie. Mais l'habitude est plus forte, elle finit d'une certaine façon par banaliser la peur. On trouve un Mehdi qui rêve de mariage et pour cela il doit aller un matin à son travail qu'il n'aime pas particulièrement avec le sentiment qu'il devrait peut-être rester chez lui. Sur un autre plan, c'est Zahra, sœur d'un islamiste, qui rechigne à mettre le voile islamique, qui tarde et qui s'expose ainsi à des représailles. À côté, Rachid, metteur en scène et comédien, se retrouve, après des années de décrépitude culturelle, relégué à enseigner le théâtre à des étudiants dans une association culturelle universitaire. L'ironie du sort l'attend au petit matin. Ensuite, c'est le récit d'une mère et de son fils, Massinissa, qui partent très tôt pour rendre visite à son fils aîné, emprisonné après des émeutes en Kabylie. L'imbroglio survenu brouille les pistes dans la tête de Massinissa et dans le cœur de la mère. Un peu plus bas, on découvre, avec une psychologie détaillée, le destin d'un employé à tout faire, un peu simplet, qui décide un jour de participer à une manifestation qui va dégénérer. Et au cœur, avec les yeux et les paroles de Fatiha, une collégienne de la banlieue d'Alger, sont relatées sa fin de journée et sa nuit particulière et invraisemblable. Elle en sortira transformée à jamais. Tout cela est encadré par deux nouvelles qui inaugurent et clôturent cette série en racontant le quotidien de Massinissa, un jeune chômeur algérien, perdu et désespéré. Après son retour d'Alger, il ne lui reste qu'une cuite de fortune pour passer la nuit. Razik Benyahia, installé depuis quelques années en France et enseignant les lettres modernes, nous propose ici des nouvelles entamées à la fin des années 1990 à travers une écriture qui s'est nourrie par la suite de réflexions, de sentiments et de souvenirs persistants. Cette écriture est allègrement dramatique tout en restant chevillée à un réalisme plus que nécessaire. Car, comme le dit Massinissa dans la première nouvelle Au temps pour moi : «Non qu'il faille à tout prix occuper l'espace du temps, non pour pleurer notre malheur et le reste de nos tourments, mais parce qu'il faut dire pour ne jamais oublier. Ne jamais oublier, malgré la loi de réconciliation infamante. Cette loi qui gomme tout, absout tout, qui remet l'ivraie avec le bon grain. Cette loi est comme un clou rouillé qu'on vous plante en plein cœur tout en vous ordonnant de ne pas crier.» A. Kersani