Par Ahmed Halli [email protected] Abdallah Ibn-Almuqaffa, le c�l�bre fabuliste de la p�riode abbasside, a commis durant sa courte vie terrestre des exc�s qui auraient pu lui valoir, � l'�poque et encore plus aujourd'hui, les pires des tourments. Certains de ses contemporains voyaient en lui un Persan idol�tre converti � l'Islam par pur opportunisme et pour jouir des faveurs de la cour. L'auteur de Kalila et Dimna �tait, en effet, bien vu du s�rail gr�ce � ses traductions des textes persans et indiens. Et le r�gne en �tait avide. Aimant la provocation et pratiquant la d�rision sans mod�ration, il avait entrepris, apr�s l'avoir cri� sur tous les toits, d'�crire un livre qui serait plus beau que le Coran. Apr�s de multiples beuveries et de guerre lasse, il s'�tait dit qu'� l'impossible nul n'est tenu. Un moment enthousiasm�s par l'id�e, mais ne voyant rien venir, ses commensaux et g�n�reux m�c�nes, fatigu�s eux aussi de le d�salt�rer, lui tourn�rent le dos. On dit aussi qu'il noua une idylle avec les tenants du �mu'tazilisme �, tol�r�s puis s�v�rement r�prim�s et an�antis. Il est fort possible que ses relations avec cette �cole th�ologique qui pr�nait la primaut� de la raison sur la foi aveugle ait jou� un r�le dans sa triste fin de carri�re. Toutefois, son plus grand crime aux yeux des puissants d'alors �tait sa propension � se moquer des travers, et surtout des d�fauts physiques de ses contemporains. Ainsi, en arrivant un jour chez Soufiane Ibn Muawya, wali de Bassorah, il le salua d'un tonitruant �essalamou ala�kouma�. Ce qui pouvait se traduire par �bonjour � vous deux�, le duel incluant le gouverneur qui �tait absolument seul et son appendice nasal, qu'il avait fort long, soit deux entit�s � saluer dans le respect de la syntaxe. Outrag�, le Cyrano arabe de l'�poque se porta volontaire pour ex�cuter la sentence de mort, d�cr�t�e par le calife, contre Ibn-Almuqaffa. Ce dernier p�rit dans d'atroces souffrances, dit-on, puisqu'il fut litt�ralement d�coup� en steaks tranche apr�s tranche jusqu'� ce que mort s'ensuive. Comme quoi, les m�mes causes ne produisent pas n�cessairement les m�mes effets. Plus pr�s de nous, dans l'histoire r�cente des �tats-Unis, on apprend par l'exemple d'Al-Capone comment un gangster meurtrier multir�cidiviste peut �chapper � la justice et tomber pour une vulgaire fraude fiscale. Tout ceci pour vous dire que vous pouvez voler, tuer, violer en toute impunit� et en tout temps, mais qu'il suffit d'un rien pour subir l'effet boomerang. Ce rien peut prendre la forme d'un soutien- gorge bleu port� par une dame sur-voil�e (portant niqab), tra�n�e par des soldats sur une place arabe. Cela s'est pass� plus pr�cis�ment sur la renomm�e place Al-Tahrir du Caire, et cette image qui a fait le tour du monde risque de donner un second souffle � une r�volution quasiment asphyxi�e. Pourtant, il s'est pass� des choses autrement plus graves sur cette place et dans ses environs. Le mois dernier des dizaines de manifestants, ou suppos�s tels, ont pratiquement viol� sur le site m�me une cons�ur de la t�l�vision fran�aise. Quelques semaines auparavant, une journaliste am�ricaine d'origine �gyptienne avait affirm� qu'elle avait subi des violences sexuelles dans les locaux de la police �gyptienne. Au tout d�but de la r�volution, on avait fait subir � des jeunes filles de la place Al-Tahrir d'humiliants tests de virginit�. Ceci, pour se pr�munir contre d'�ventuelles accusations de viol port�es contre les forces de s�curit�. Quand on crie au loup� Mais il n'y avait pas d'images � opposer au mensonge, comme le disait la semaine derni�re l'�ditorialiste �gyptien Adel Hammouda. Il faisait justement allusion � cette vid�o, qui pourrait bien sonner le glas des esp�rances et des projets des autorit�s en place. Il a donc suffi que des soldats surexcit�s agrippent une femme en niqab par son ample v�tement et d�couvrent une partie de sa nudit� et cet insoutenable soutien-gorge bleu pour d�clencher la fureur. Un soutien-gorge bleu : voil� � quoi se r�sume l'honneur d'une r�volution, de ses artisans et de tout un pays. Cette femme, tra�n�e sans m�nagement sur le bitume, c'est la �ligne rouge� qu'il ne fallait pas franchir. Du coup, les dizaines de morts de ces derni�res semaines sont recas�s derri�re la fa�ade du �tout sauf �a�, et les salafistes qui vont entrer en force au nouveau Parlement surfent sur la vague. Un des dirigeants du parti Nour condamne le comportement des soldats � l'�gard de la femme en niqab, mais il affirme qu'elle n'avait pas � �tre l�. Pour lui, toute femme en niqab est suppos�e appartenir � la mouvance fondamentaliste, et la pr�sence de cette femme place Al-Tahrir est une tentative d'impliquer la mouvance dans les manifestations. D'ailleurs, en pr�vision des t�ches qu'ils s'assignent dans leur prochain gouvernement, les fondamentalistes s'attachent � imposer le niqab � toutes les femmes d'�gypte. Leur pr�dicateur en chef, Ishak Al-Houwayni, vient de lancer une nouvelle fatwa dans ce sens en d�cr�tant que le visage de la femme est source de discorde. Pour lui, le visage d'une femme est comme ses parties les plus intimes, et il doit donc �tre maintenu � l'abri des regards. Une autre autorit� fondamentaliste croit devoir rassurer les Coptes et les Juifs d'�gypte en leur annon�ant � quelle sauce ils vont �tre mang�s. Pour lui, les Juifs et les Coptes sont des �kouffar � et leurs droits �sont d�termin�s par Dieu�. Autrement dit, le statut de �Dhimmi�, dont ne veulent pas, en particulier, les dix millions de Coptes �gyptiens pour qui l'avenir s'annonce bien sombre. Pour clore le tableau, signalons l'initiative du magazine �lectronique Elaph qui a d�cr�t� �2011�, ann�e des �fatwas politiques�. Il passe ainsi en revue les fatwas les plus c�l�bres qui ont accompagn� les r�volutions arabes, comme celle de Karadhaoui qui a avait appel� � l'assassinat de Kadhafi. �Que son sang retombe sur moi�, avait-il lanc� � l'adresse des tueurs potentiels. Effectivement, la fatwa a trouv� preneur, et si le Tribunal p�nal international se saisit de l'affaire, qu'il n'oublie pas le d�lit d'incitation au crime commis sur la terre du Qatar.