Ayant obtenu le titre de maître artisan il y a près de 60 ans, c'est-à-dire du temps du colonialisme français, Mohamed Hamlat n'a jamais cru qu'un jour il mettrait fin à sa carrière. Tous les Casbadjis et tous ceux qui ont visité le village des artistes de Riadh El Feth en 1984 se souviennent de lui. L'homme qui aimait parler de La Casbah d'antan ne quittait sa place derrière le métier à tisser que rarement pour rejoindre le rouet afin de préparer un nouveau rouleau de soie. Les enfants et les grands s'étonnaient comment cet artisan maniait si rapidement le cheblitou, le rechtiliou et la klebika et faisait passer le sareq (outils pour le tissage traditionnel) entre les deux rangées de soie tout en déplaçant les nombreuses pédales à l'aide de ses pieds sans se tromper. Il avait quitté sa Casbah pour Riadh El Feth M. Hamlat se trouvait dans son atelier de La Casbah quand il fut contacté pour rejoindre le village des artistes de Riadh El Feth qui devait ouvrir ses portes en 1984 pour attirer les touristes. Il aura fallu du temps pour convaincre le plus ancien maître tisserand d'Alger qui tenait à son atelier et à sa Casbah. On lui a promis monts et merveilles et notamment le logement tant rêvé. Mohamed Hamlat et sa famille nombreuse habitait une maison délabrée à Sidi Ramdhane (haute Casbah). La promesse d'octroi d'un logement le fit longuement réfléchir avant qu'il ne décide à démonter, pour la première fois depuis plusieurs décennies, son métier à tisser séculaire. Le maître artisan, tout comme ses confrères connus tels que Cheikh Sfaxi et Hamid Kobtan croyaient vraiment qu'ils n'auraient plus de problème de matière première. On leur avait promis même le transport jusqu'à leur Casbah chérie. Au début, c'était un peu la fête puisque les curieux ne manquaient pas. Tout le monde venait au village des artistes et les affaires paraissaient bien marcher au. Il y avait même une décoratrice pour embellir les vitrines des ateliers. Seulement, l'attente a trop duré pour maître Hamlat à qui on avait promis la matière première et surtout le logement. Avec ses économies, il réussira à acheter une R4 d'occasion mais ses enfants continuent à vivre sous un toit où les guettent toutes les maladies. Alger perd le dernier des tisserands L'artisan qui apprenait le métier à son fils Youcef a fini par baisser les bras devant les déclarations de sa progéniture qui lui disait : «Je n'ai pas envie de ce métier qui ne me nourrit pas.» Déçu après la distribution des logements à quelques artisans seulement et voyant que la promesse n'a pas été tenue, Hamlat est retourné à La Casbah tout en décidant de ne plus toucher au métier à tisser. Il rouvre d'abord son ancienne boutique pour y vendre des bonbons tout en donnant raison à son fils. C'est ainsi qu'on a perdu le dernier des maîtres tisserands d'Alger et c'est ainsi que ce métier a disparu de la capitale.