Le village des artistes est né en 1984 avant même le centre commercial de Riadh El Feth. Les boutiques avaient été attribuées sur concours aux meilleurs artisans algériens contre des promesses de logement, de mise à disposition de la matière première et surtout d'un lieu où les touristes ne manqueraient jamais. De grands maîtres artisans tels que l'ébéniste Hamid Kobtan, le tisserand Mohamed Hamlat et Hadj Zolo avaient quitté leurs boutiques de La Casbah d'Alger pour le nouveau village de Riadh El Feth. Il faut dire que même s'il y avait encore des choses à faire, beaucoup d'artisans étaient contents de se retrouver dans un lieu propre pour accueillir les visiteurs venant en famille même tard notamment pendant les soirées d'été. Le chemin menant au village dégageait une odeur toujours fraîche et les roses plantées de part et d'autre étaient bien entretenues. La direction animation de l'époque mettait à disposition des artisans une spécialiste pour la décoration des devantures et les visiteurs trouvaient un grand plaisir à voir les artisans à l'œuvre et à écouter leurs explications. Des écoliers et des enfants accompagnés de leurs parents venaient voir le dernier tisserand d'Alger manier son cheblitou et son rechtiliou (outils de tissage). Au même moment, le luthier Nifer donnait les dernières retouches au qanoun, cet instrument à 78 cordes dont il a laissé les secrets de fabrication à ses enfants qui tentent de continuer sur la voie du père. Point de rose, point d'art Ce mercredi, un brin de nostalgie nous a poussé à revenir vers ce village. Ce fut comme un suicide, car des images blessantes nous attendaient à l'entrée du chemin y menant et à l'intérieur des bâtiments. Point de rose, point d'art. Mis à part quelques artisans continuant de survivre, tout est mort au village des artistes. Le bois jonchant les jardins a été remplacé par un trottoir en béton mal entretenu et les couples sans pudeur ont remplacé les familles. Des l'entrée du bloc 12, on remarque l'absence des deux tisserands notamment maître Hamlat qui est revenu à sa Casbah tout en décidant de ne plus toucher au métier à tisser. Même son fils Youcef aurait refusé de reprendre le métier, car il n'est pas rentable. Le départ de feu Hamid Kobtan le grand ébéniste avait eu lieu en 1985. Le dinandier Hadj Zolo est également absent et sa boutique a été attribuée à un céramiste. Le grand dinandier Zolo qui attirait, à lui seul, des centaines de curieux par jour est mort au Maroc, son pays d'origine. Le deuxième spécialiste du cuivre Bentchekkar est également parti. Le spécialiste du verre soufflé Ghersa a choisi de partir avec son savoir-faire et son art en France. Ils résistent malgré tout En ce mercredi, grande fut notre émotion en retrouvant les enfants de Nemchi et Ogal qui résistent malgré toutes les contraintes à sauvegarder la bijouterie berbère. Il faut dire que cette résistance est motivée surtout par leur souci de rendre hommage à leurs parents et à la promesse tenue pour la sauvegarde du métier. Bien que très doué, le petit-fils de Nemchi a également refusé de suivre la voie de son père, car il n'y voit aucun avenir. Il faut dire que Nemchi tout comme Hamlat et tous les artisans du village n'ont pas d'atouts pour convaincre leurs enfants à sauvegarder ces métiers. L'autre combattant est Abdelkader Boumala, le calligraphe qui continue à rejoindre sa boutique pour s'adonner à son art. Il est à rappeler que Boumala qui enseigne à l'ecole supérieure des beaux-arts est parmi les plus grands calligraphes. Les quelques rescapés qui résistent nous annoncent également la mort de Hocine Ameziane qui tenait la boutique de vannerie. Avec le départ de ces artisans, ce sont plusieurs métiers qui ont disparu, et la direction de l'office Riadh El Feth tout comme le ministère chargé de sauvegarder l'artisanat semblent insensibles à la mort de ces métiers. La boutique de fetla (dorure) a été attribuée à un artisan réparateur de montres et dans la vitrine du magasin qui était spécialisé dans la fetla et le medjboud, l'exposition d'images de femmes en deux-pièces ne mérite même pas de commentaire. Il n'y a même pas de gestion On essaye de parler de la gestion du village avec les artisans, mais on nous explique qu'il n'y a plus de gestion. D'ailleurs, cela se remarque sur l'état des lieux. Les murs n'ont pas été repeints depuis fort longtemps et l'eau coule dans quelques magasins à cause des fissures. A l'entrée de l'atelier de Abdelkader Ghorab le spécialiste du bois tourné qui a appris son métier auprès des Egyptiens, l'espoir nous revient. En effet, un artisan et deux apprentis sont occupés à sculpter quelques morceaux de bois. En tout cas, Ghorab qui est absent en ce mercredi n'aura pas l'occasion de se plaindre du manque de matière première et surtout de l'absence totale de visiteurs. Il doit sûrement garder ce local comme atelier secondaire et non pour accueillir les clients, car il n'y en a plus du tout. Le village des artistes de Riadh El Feth devait être la vitrine de l'artisanat en Algérie et une vraie porte pour l'attrait des touristes. Aujourd'hui, le village est l'exemple même de la mauvaise gestion du secteur du tourisme et de l'artisanat en Algérie. On se demande pourquoi les gestionnaires qui étaient à la tête de l'Office Riadh El Feth à l'époque ont été mutés ou poussés au départ et pourquoi leurs remplaçants ne font même pas le minimum. C'est à croire que les gestionnaires du lieu et du secteur de l'artisanat sont payés pour saboter et tuer les arts et les artisans.