Il serait judicieux de penser que la négociation se fait en force lorsqu'elle est appuyée par l'argent, la force militaire ou la technologie. La visite, aujourd'hui, à Alger, du ministre français des Finances, Nicolas Sarkozy - la deuxième en moins de deux mois - après celle, il y a une semaine, de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre française de la Défense, relance la guerre d'influence sur l'Algérie à laquelle s'exercent depuis deux ans la France et les Etats-Unis. La visite de Sarkozy, une semaine après celle de MAM, intervient dans le sillage de celle - tout aussi importante - de Michel Barnier, ministre français des Affaires étrangères et trois mois après, celle du président de la République Jacques Chirac. La volonté de la partie française de «reconquérir» l'Algérie se traduit par un calendrier très chargé dans lequel Alger occupe une place privilégiée. Longtemps délabrées par une politique pleine d'ambiguïtés et de non-dits de part et d'autre, les relations franco-algériennes connaissent plus de vigueur depuis la réélection du président algérien Abdelaziz Bouteflika. Voilà donc un homme réélu à 84% des suffrages, alors autant négocier sérieusement avec un régime qui sera plus ou moins stable jusqu'en 2009. La contrepartie que Paris propose, outre son appui à l'adhésion à l'OMC et de «partenariat privilégié» avec les pays de l'Union européenne, est un volume d'échanges plus important et plus global que les seuls soucis de se doter des hydrocarbures algériennes et de la coopération avec Sonatrach, en plus du partenariat proposé et accepté par Bouteflika, d'organiser à Paris à l'automne un partenariat entre la défense européenne et le Maghreb, une réunion «4+3», entre quatre pays du Sud européen - Espagne, France, Italie, et Portugal - et trois pays maghrébins, l'Algérie, le Maroc et la Tunisie. Cette réunion, selon la partie française «visera à choisir un certain nombre d'action concrètes pour rapprocher les deux rives de la Méditerranée». Cette (re) prise des contacts s'est vérifiée au mois de juin déjà lors de la Foire internationale d'Alger, avec la présence «renforcée» de 350 entreprises françaises, ainsi que celle de patrons français qui figurent parmi les chefs des plus importantes entreprises françaises d'infrastructures. Les Américains, comme toute superpuissance qui se respecte, et à la faveur des événements du 11 septembre 2001 et de leurs retombées politico-militaires, font leur «entrée» en Algérie par la «force de l'argument». Dans la Méditerranée, d'abord, avec la présence d'une force navale de l'Otan - qu'ils contrôlent totalement -. Dans le Sahara, ensuite, où leurs firmes pétrolières font florès. Aux frontières sud, enfin, où une aide militaire accrue et une coopération en matière de surveillance et de repérage des mouvements suspects des groupes rebelles ne sont plus un secret pour personne. Les experts militaires américains insistent «plus que de raison» sur la menace constituée par la bande du Sahel, et qu'ils qualifient de «rampe de lancement» potentielle pour les groupes armés locaux affiliés à Al Qaîda. Outre l'argument militaire et sécuritaire -tous les pays du Nord sont en fait, poussés à souscrire à la «total war» décrétée par l'administration Bush et dirigée par Donald Rumsfield et les Faucons de la Maison-Blanche -, le volume des échanges américains avec l'Algérie excède les 3,8 milliards de dollars et se situera à 7 milliards de dollars à l'horizon 2007. Les Etats-Unis sont aussi les premiers investisseurs en Algérie depuis l'année 2000 et le troisième client dans les hydrocarbures, après la France et l'Italie. Les ambassadeurs américains, depuis Cameron Hume, à Janet Anderson, n'ont cessé d'encourager les grandes entreprises américaines, telles IBM, Coca-Cola, Honeywelle, Général Electric, Lucent Technolgy, etc., de venir investir en Algérie. Pragmatiques, les Etats-Unis n'ont jamais eu les appréciations teintées d'émotivité qu'ont les Français vis-à-vis des grandes turbulences qui ont touché l'Algérie depuis 1990. Les rapports confidentiels américains qui atterrissent sur le bureau ovale de George W.Bush qualifient la crise kabyle d'«excroissance des luttes de partis» et de «manipulation», évaluent les rapports armée-présidence en faveur de Bouteflika, considéré comme «seul chef» et non «otage des généraux». En engrangeant l'équivalent de 40 milliards de dollars pour les deux seules dernières années, l'Algérie a soudainement pris une nouvelle place dans la négociation. Désormais, le marché de l'armement lui est peu à peu ouvert, car elle a l'argent nécessaire pour négocier à l'aise. L'embellie financière a généré une embellie politique et commerciale et l'Algérie peut tout aussi bien se faire désirer par la France que par les Etats-Unis. Ce qui ne veut absolument pas dire que notre pays a fait quelque avancée sur le plan de la démocratie et des droits de l'homme, critères pour lesquels l'Algérie s'est trouvé jusqu'à une date récente clouée au pilori. L'intérêt porté à lui vendre des armes, à lui fournir des équipements militaires et techniques à immerger le marché local de produits divers, tout en se faisant payer cash, ouvrent de nouvelles perspectives. Et ce n'est pas forcément la meilleure issue pour l'Algérie.