Le départ du général de corps d'armée Mohamed Lamari aura des conséquences durables sur les nouvelles orientations de l'armée. Le départ du patron de l'armée algérienne Mohamed Lamari et son remplacement par le général-major Gaïd Salah s'est fait dans la correction la plus totale. Cette fracture au sein de l'état-major de l'armée, et qui, de surcroît, concernait le personnage le plus important de l'institution militaire, ne s'est pas produite dans la douleur et le sang et c'est le premier point positif à saisir. Le nouveau patron de l'armée a bénéficié de plusieurs paramètres qui tous ont joué en sa faveur. Premièrement, il s'agit du commandant des forces terrestres, qui, de ce fait, est placé n°2 dans la hiérarchie de l'état-major de l'armée. Deuzio, il s'agit d'un officier ancien dans la chaîne de commandement de l'armée, et qui peut de ce fait assurer encore la cohésion et la stabilité des troupes. Tertio, il s'agit d'un homme qui a affiché ses préférences pour le candidat-président lors de la campagne électorale d'avril 2004, et constituait avec Ahmed Sanhadji, le pôle des officiers supérieurs qui appuyaient «à fond» la candidature de Bouteflika. Cependant, le général-major Gaïd Salah ne saurait être que chef intérimaire de l'ANP, jusqu'à nomination du nouveau général de corps d'armée, le plus haut gradé de l'armée. Atteint par la limite d'âge, largement septuagénaire, Gaïd Salah assurera la cohésion de l'armée jusqu'à nouvel ordre, vraisemblablement jusqu'à la fin de l'année. Ce n'est qu'alors que l'on pourra assister à la nouvelle reconfiguration au sein de l'institution militaire. Mais l'on devine d'ores et déjà les profonds bouleversements qui vont toucher les structures de l'armée. Dernier porte-drapeau des officiers «opérationnels» issus de l'armée française, Mohamed Lamari a bâti en douze ans une structure hiérarchisée et disciplinée qui cadrait avec ses propres visions, forgées par un anti-islamisme implacable, une lutte contre-insurrectionnelle sans merci et un engagement «très politique» dans la vie quotidienne du pays. La constitution d'une «citadelle» au sein de l'armée, et qui épousait une à une toutes ses orientations, sera dès à présent remise en cause. Les régions militaires, les forces aériennes et navales, les zones sensibles, dont le Sud, le commandement d'unités opérationnelles, les départements administratifs et la communication de l'armée sont autant de points qui figureront à l'ordre du jour et subiront de profondes transformations. La génération des officiers qui ont vécu la guerre de Libération a écrasé sous son poids toute une lignée de jeunes colonels moins politisés et plus techniques qui sont restés «coincés» ou qui ont quitté prématurément les rangs de l'armée. En occupant pratiquement tous les postes de commandement de l'armée, ils ont exclu les jeunes officiers issus des rangs de l'ANP. Depuis 1962, c'est-à-dire depuis pratiquement quarante-deux ans, ils ont fait et défait les présidents, ils ont exercé le pouvoir absolu. En fait, ils n'ont pas constitué le pouvoir, mais étaient le pouvoir lui-même, et c'est à leur périphérie que s'articulaient les hommes politiques en faisant de grands cercles, autour et en prenant garde de ne pas outrepasser les lignes rouges tracées par l'état-major. Aujourd'hui, il semble que les donnes ont chargé et que le président de la République exerce pleinement le pouvoir de président «total et à plein temps». Les contraintes de la politique sécuritaire extérieure a joué en faveur de Bouteflika, qui, lors de sa première visite, en 2000, au siège de l'Otan à Bruxelles, avait placé l'armée face à des impératifs qui la dépassaient en force. Les diverses manoeuvres navales en Méditerranée, l'orthodoxie budgétaire imposée par les grandes institutions politiques et monétaires internationales, la coopération en matière de sécurité, la professionnalisation et la tendance internationale qui pousse les militaires vers les casernes, ont grignoté peu à peu l'hégémonie de l'armée algérienne, préparant l'avènement à un véritable ascendant du président de la République sur l'état-major de l'armée. En juillet 2002, lors d'une conférence de presse organisée dans la salle des conférences de l'académie militaire inter-armées de Cherchell, la présence des généraux-majors Fodhil Chérif Brahim et Gaïd Salah, ainsi que du directeur de l'Amia, Abdelhamid Abdou, Lamari avait déclaré qu'il envisageait sérieusement de prendre sa retraite. Depuis, on s'attendait à le voir partir, ainsi que toute la génération d'officiers ALN, mais aux conditions de ceux-ci et après avoir eux-mêmes planifié, appliqué et supervisé les conditions de leur retrait, lequel - on le devine - devrait se faire sans pour autant leur causer de préjudices personnels. On retiendra de Lamari le fait qu'il a ouvert grandes les portes de la communication dans les structures militaires, avec notamment la mise en marche de «cellules de communication » dans chaque Région militaire, l'organisation de conférences de presse dans les zones opérationnelles par les chefs de la lutte contre-insurrectionnelle, la médiatisation des opérations militaires d'importance, grignotant ainsi les espaces autrefois réservés au seul département recherche et sécurité et soumis aux labyrinthes de l'information sécuritaire. La nouvelle reconfiguration de l'état-major de l'armée déterminera aussi le positionnement de plusieurs hommes politiques, qui ont tourné autour des chefs de l'ANP depuis 1992, ainsi que des médias privés, qui ont fait jonction avec les chefs militaires à la faveur de l'interruption du processus électoral et des grands enjeux et orientations politiques et militaires qui suivirent.