La présence à Moscou des leaders du Hamas outre de donner aux islamistes de sortir de l'isolement les met aussi face à leurs responsabilités. Il ne faut sans doute pas s'attendre à quelque chose de spectaculaire dans la capitale russe, mais il est patent que le mouvement islamiste palestinien, Hamas, invité du président russe, Vladimir Poutine, va tirer profit de cette visite pour ouvrir une brèche dans les tentatives occidentales de l'isoler au plan international depuis la victoire électorale du mouvement de Khaled Mechaal. Mais cet apport «d'oxygène» moscovite met également le mouvement islamiste palestinien face à ses responsabilités qui doit prouver qu'il a la capacité d'être un parti de gouvernement. De fait, la visite des leaders palestiniens dans la capitale russe est à double entente, dans la mesure où si elle permet à Hamas de desserrer quelque peu l'isolement dans lequel entendent le maintenir Israël et Washington, elle le contraint, d'autre part, d'avoir, à terme, une démarche plus politique et diplomatique que guerrière. Aussi, c'est le Hamas qui doit maintenant s'adapter à sa nouvelle situation de «parti» de gouvernement. Et gouverner d'une main, se battre de l'autre risque d'être contre-productif. Mais, comme le soutient le président palestinien, Mahmoud Abbas, le Hamas a le droit d'avoir une chance de faire ses preuves pour passer de sa position de mouvement de résistance à celle de parti de gouvernement. Ce qui, de tout temps, a été valable pour tous les mouvements qui se battent ou se sont battus pour l'indépendance -y compris les terroristes israéliens des groupes de l'Irgoun et Stern notamment dont beaucoup sont encore aux affaires en Israël- doit aussi l'être pour les résistants palestiniens, y compris le Hamas, investi par le peuple palestinien de diriger l'Autorité palestinienne. Dans un entretien au quotidien Al-Hayet, le président palestinien a ainsi déclaré que «Certains responsables arabes ont dit qu'il faut donner une chance au Hamas. Moi aussi je dis qu'il faut donner une chance au Hamas» et de souligner: «Je considère que les visites effectuées par les responsables du Hamas à l'étranger sont importantes et utiles. Ils vont exposer leurs vues et écouter et cela leur permettra de se faire un avis». Les Russes qui accueillaient hier une délégation du Hamas dirigée par le chef du bureau politique du mouvement, Khaled Mechaal, sont bien décidés pour leur part de profiter de cette opportunité pour faire d'une pierre deux coups : jouer un rôle clé en amenant le Hamas à faire preuve de «modération» et également se replacer dans une région de laquelle Moscou a été plus ou moins évincée ces dernières années au grand profit de Washington, juge et partie au Proche-Orient. En effet, la voix de Moscou a été -à tout le moins- tenue ces dernières années dans le conflit israélo-palestinien, la Russie jouant quasiment les faire-valoir dans le dossier proche-oriental. Aussi, la Russie qui veut retrouver un rôle actif dans la région a su saisir l'opportunité qui s'est offerte à elle après la victoire électorale du Hamas et la levée de boucliers de l'Occident contre le mouvement de résistance palestinien en estimant qu'il serait «contre-productif» d'isoler le Hamas arguant qu'il faut, au contraire, l'aider à devenir «partie légitime» dans le processus de paix supervisé par le Quartette de médiateurs internationaux dont la Russie est membre. De fait, Washington qui a fraîchement accueilli l'initiative russe, a réaffirmé jeudi qu'il maintiendra la pression sur le Hamas et cherchera à l'isoler «financièrement et politiquement» dans l'optique de lui créer « énormément de difficultés» à gouverner. Pour sa part, l'Union européenne, principal bailleur de fonds de l'Autorité palestinienne, conditionne la poursuite de son aide aux Palestiniens par la reconnaissance d'Israël par le Hamas et que celui-ci accepte de négocier sur «la base des accords conclus» avec l'Autorité palestinienne. Face à cette levée de boucliers, Moscou reste ferme et réaffirme qu'en invitant le Hamas son objectif premier est de faire évoluer le mouvement islamiste vers plus de pragmatisme et de modération, estimant que sa victoire aux élections palestiniennes «légitime» de fait le mouvement islamiste. Pour leur part, conscients de la percée diplomatique que sa visite à Moscou fait faire au Hamas, les leaders islamistes palestiniens recentrent le débat en estimant que la Russie serait tout à fait capable de rectifier «les erreurs de la politique des Etats-Unis au Proche-Orient», comme l'a affirmé jeudi l'adjoint au chef du bureau politique du Hamas, Moussa Abou Marzouk, dans une interview à l'Agence russe Ria Novosti. Selon M.Marzouk, Moscou «peut remplir le vide apparu à cause des erreurs de la politique des Etats-Unis au Proche-Orient». Le responsable islamiste palestinien ajoute: «Nous sommes très reconnaissants à la direction russe pour son invitation à Moscou et nous attendons cette visite avec optimisme», avant de souligner: «La Russie peut montrer au monde une vision plus juste et plus transparente du problème palestinien, à la différence de ceux qui appuient leur position uniquement sur les intérêts d'Israël». Dès lors, le retour de la Russie au premier plan dans le dossier israélo-palestinien peut contribuer à recentrer la problématique proche-orientale en ré-introduisant une vision plus équitable d'un contentieux qui perdure depuis bientôt soixante ans.