Au moment où le football est partout, cette ville sort de l'ordinaire avec ses centaines d'athlètes. Il est un fait incontestable en Algérie que le phénomène du football se retrouve partout même si le béton a empiété sur les terrains vagues et les rues réduisant considérablement les aires de jeu. C'est ainsi que lorsque vous entrez dans un stade un jour où il n'y a pas de compétition officielle, vous avez presque 100% de chances de tomber sur des adultes et des jeunes en train de s'adonner à ce sport si prisé surtout lorsque le stade en question ne répond qu'à la pratique de celui-ci. Imaginez alors la grosse surprise de votre serviteur quand, à l'occasion d'une visite dans la wilaya de Béjaïa, il découvre des gosses et des adolescents s'exercer aux différents concours d'athlétisme. Rien de plus banal nous direz-vous, puisque Béjaïa est une grande wilaya où le sport occupe une place prépondérante. Des athlètes dans une cité aussi vaste n'a rien d'extraordinaire. Seulement il ne s'agit pas de Béjaïa mais d'une autre ville bien plus petite par rapport à la capitale des Hammadites. Nous voulons parler de Souk El Tenine, une charmante cité balnéaire située à une trentaine de kilomètres à l'est du chef-lieu de wilaya. Au pied des monts Babors, s'érige cette commune qui connaît chaque été l'affluence record particulière à toutes les villes réputées pour leur bord de mer et leurs plages. Un site magnifique placé à la bifurcation de l'important axe routier reliant Béjaïa, d'une part à Sétif et d'autre part à Jijel. A Souk El Tenine, une ville de quelque 20.000 habitants, on pratique du sport et pour cela les clubs disposent du stade Abid-M'hamed, une petite infrastructure située à l'entrée ouest de la cité. Un stade qui date de l'époque coloniale, érigé essentiellement pour le football avec une seule tribune. Ou plutôt d'un semblant de tribune si l'on ose qualifier ainsi le bloc de béton, à six gradins, installé le long du terrain de football et qui peut accueillir une centaine de spectateurs. En dehors des vestiaires, qui sont de construction récente (une dizaine d'années peut-être), le reste est dans un état de vétusté très avancé. Du côté est de l'enceinte sportive, on trouve ce qui ressemble à une salle omnisports, c'est-à-dire une toute petite infrastructure recouverte de zinc et au sein de laquelle on pratique le karaté sur un tapis à peine acceptable posé à même le sol cimenté le tout sous les feux d'une lumière blafarde dispensée par quelques ampoules de faible puissance. Malgré toutes les carences qui l'affectent, ce stade ne désemplit pas et contrairement à ce que vous pourriez croire, ce ne sont pas les footballeurs (ceux du Chabab riadhi baladiat Souk El Tenine) qui sont en surnombre mais les athlètes du Rapid baladiat Souk El Tenine et de l'Ecole d'athlétisme de Lotta. Deux clubs d'athlétisme dans une commune de 20.000 habitants, c'est déjà plus que remarquable dans un pays où on ne jure que par le football. A propos de Lotta, il convient de signaler qu'il s'agit d'une toute petite agglomération faisant partie de la circonscription administrative de Souk El Tenine et située à quelque 4 kilomètres du chef-lieu communal. Le problème de l'éloignement du stade a été réglé par la location d'un minibus lequel chaque soir, après l'école, emmène les jeunes athlètes, filles et garçons, pour s'entraîner et les ramène par la suite chez eux. Pour les athlètes du RBS, qui habitent dans la ville, ce problème ne se pose, bien sûr, pas. A eux deux, ces clubs font état d'un effectif de près de 400 licenciés et leurs efforts, en dépit de multiples difficultés, sont, très souvent, récompensés puisque lors des derniers championnats nationaux de jeunes et open d'athlétisme, Souk El Tenine a remporté 17 titres. Cela est le fruit de la persévérance et de l'amour que portent pour l'athlétisme quelques cadres sportifs de la ville parmi lesquels les deux conseillers en sport que sont Achour Brahim, l'entraîneur en chef de l'EAL et Khellaf Laid, celui du RBS. Le premier nommé a d'autant plus de mérite qu'il a su motiver les habitants de Lotta à inciter leurs enfants à faire de l'athlétisme. Et même les plus jeunes d'entre eux puisque les 10-11 ans sont également pris par cette passion. Ils ne se déplacent pas jusqu'au stade et s'entraînent in-situ sur des terrains vagues sous la conduite de quelques éducateurs. Le manque de moyens fait que tous ces jeunes se préparent dans des conditions déplorables. Pas de piste, pas d'aires de lancer ou de réception. On s'entraîne en fonction de ce que l'on a sous la main. «Ce n'est pas parce qu'on ne dispose pas d'outil de travail, que l'on va se croiser les bras et ne rien faire», nous a dit Achour Brahim qui ajoute: «Pour le javelot par exemple s'il avait fallu user de roseaux pour s'exercer, on l'aurait fait. Tenez, pour le lancer du marteau, j'ai dû recourir à un forgeron qui a réussi à me façonner l'objet en question». Cette volonté de ne pas céder devant les problèmes, nous l'avons constatée le jour de notre visite inopinée. Achour Brahim tenait dans une main une paire de tenailles et s'affairait à chercher du fil de fer au moment où quatre garçons creusaient des trous dans un coin du stade. «Il n'y a pas d'aire de lancer pour le marteau. Avec ces garçons, nous essayons d'en façonner une même si elle sera rudimentaire», expliquera Achour Brahim. Dans une autre partie du stade, d'autres éducateurs étaient occupés à faire des exercices de course de haies à des jeunes en utilisant des haies, dont certaines étaient rafistolées avec du fil de fer alors que pas très loin d'eux, des filles et des garçons s'entraînaient au saut à la perche avec des instruments qui n'ont de perche que le nom et des tapis de réception qui ne sont que de vieux matelas en éponge. Quant aux lanceurs de javelot, ils usent d'instruments, dont la plupart sont cassés. Et puis on préfère ne pas nous étaler sur des équipements de tous ces jeunes avec des survêtements et des chaussures à l'usure très avancée. C'est cela l'Algérie profonde, loin des bruits et des fastes de la ville où l'on se permet de pleurnicher pour faire reposer abusivement des footballeurs surpayés et complètement hors du coup en matière de performances. A Souk El Tenine, on mène un combat journalier contre l'adversité, sans céder au fatalisme pour s'adonner à sa passion. Il serait certainement utile que les pouvoirs publics daignent se pencher sur la situation de ces sportifs plutôt que de s'intéresser à une équipe nationale de football, dont on sait qu'avec le «footeux» qu'on lui propose, elle ne parviendra à aucun résultat palpable même si on lui amenait le meilleur entraîneur du monde. Souk El Tenine est un des pôles de développement de l'athlétisme national mais elle ne dispose même pas d'un stade digne de ce nom pour mener à bien sa mission. Il a été question, nous dit-on, d'y construire un stade pour cette discipline mais le projet aurait été transféré à Béjaïa. Une simple parcelle de terrain gazonné entourée d'une piste de quelques couloirs suffirait au bonheur des jeunes de Souk El Tenine et de leurs éducateurs. Quand on sait que le sport représente l'un des meilleurs moyens d'éloigner la jeunesse des dangers qui la traquent, c'est faire oeuvre d'utilité publique que de s'y employer. Souk El Tenine, patrie de champions comme Khoudir Aggoune, médaillé de bronze du 5000 m des Jeux méditerranéens d'Almeria mérite bien cela.
