En accusant Damas et Téhéran d'aider le Hezbollah, Israël fait monter les enchères. Sous quelque angle qu'on le prenne, le conflit israélo-palestinien d'une part, israélo-libanais d'autre part -dont le premier entre dans son dix-huitième jour et le second dans sa sixième étape- ressort avant tout, et en tout premier lieu, à une question de décolonisation pour le premier cas et d'apurement du contentieux entre Israël et le Liban pour le second. De ce point de vue, la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice a parfaitement raison de rejeter «un simple cessez-le-feu» en expliquant que si l'on «ne traitait pas les causes fondamentales du conflit», la situation pourrait encore empirer et de souligner: «Nous voulons que la violence cesse de manière durable». C'est exactement ce que demandent depuis des décennies les mouvements de résistance palestiniens et libanais, l'examen en profondeur des causes premières du contentieux pour arriver à une solution équitable et acceptable pour toutes les parties. Toutefois, et c'est sans doute regrettable, Mme Rice n'est pas allée au fond de sa pensée, qui implique que la cessation de la violence doit impérativement revenir sur les «causes fondamentales du conflit» qui sont, et restent, l'occupation par Israël des territoires palestiniens reconnus comme tels par les résolutions 191 votées en 1947 par le Conseil de sécurité de l'ONU lors du partage de la Palestine historique, 242 de juin 1967 et 338 d'octobre 1973 qui exigent le retrait d'Israël des territoires palestiniens constitués de la bande de Ghaza, de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Aux territoires palestiniens il faut ajouter les fermes de Chebaâ au Sud-Liban toujours occupées par Israël, malgré le retrait effectué en mai 2000, de même que le plateau du Golan en Syrie également sous le joug israélien depuis 1967. Aussi, Mme Rice -qui voit le problème sous l'angle israélien et de la seule stratégie israélienne- ajoute: «Bien sûr, nous voulons que la violence cesse. Mais je peux vous dire, aujourd'hui, que si la violence cesse sur la base (d'une situation) où le Hezbollah ou le Hamas continuent d'avoir les capacités, à tout moment de leur choix, de commencer à lancer, de nouveau, des roquettes contre Israël, si la violence cesse sur la base d'une absence de changement dans un soutien politique à la résolution 1559 (sur le Liban, exigeant notamment la fin des ingérences syriennes) ou au travail du président (palestinien Mahmoud Abbas) si la violence cesse sur la base d'une possibilité de voir la Syrie et l'Iran appuyer sur le bouton à tout moment, ce que nous aurions accompli serait bien, bien peu de choses». Ainsi, le chef de la diplomatie américaine détourne les vraies raisons de l'actuel conflit, le ramenant aux seules dimensions des capacités du Hamas et du Hezbollah à mettre en difficulté Israël, s'en tenant, de fait, à une lecture biaisée et incomplète du contentieux proche-oriental dont la teneur reste encore, et toujours, l'occupation de territoires arabes par Israël. De même que Condoleezza Rice met en avant la résolution 1559 votée en septembre 2004 exigeant, entre autres, la fin de «l'ingérence» syrienne au Liban, n'évoque à aucun moment la résolution 425 de 1982 qui demande le retrait d'Israël de ‘'tout'' le territoire du Sud-Liban, ni les résolutions 242 et 338 qui, de même, exigent le retrait d'Israël des territoires palestiniens. Ce parti pris américain qui s'arrête à la seule lecture israélienne du conflit en cours fausse totalement la compréhension du dossier proche-oriental et la violence récurrente qui y perdure depuis la moitié du XXe siècle. Or, c'est cet aveuglement des grandes puissances mondiales -qui peuvent pourtant fortement contribuer à solutionner le plus ancien contentieux du monde- qui refusent de mettre Israël face à ses responsabilités, notamment dans la restauration de la paix et de la sécurité dans la région du Proche-Orient, participant a contrario au pourrissement de la situation avec le risque, aujourd'hui, de plus en plus sérieux d'une conflagration généralisée s'étendant à tout le Moyen-Orient. Est-ce cela que recherchent les grandes puissances? alors que, depuis près de 20 jours, Israël poursuit son oeuvre de destruction dans la bande de Ghaza et depuis cinq jours au Liban sans jamais remettre en cause ces actions barbares se contentant dans nombre de cas à seulement relever la «disproportion» de la riposte israélienne sans pour autant condamner l'Etat hébreu. Ces mêmes grandes puissances, à leur tête les Etats-Unis, la France, la Russie et la Grande-Bretagne -à l'instar des rongeurs quittant la bateau qui coule- s'emploient à évacuer leurs ressortissants du Liban et des territoires palestiniens se lavant, quasiment, les mains de ce qui pourrait arriver aux Palestiniens et aux Libanais laissés sous les bombes et missiles des raids israéliens. De fait, Israël qui espère -comme l'ont déclaré ses dirigeants, notamment le Premier ministre Ehud Olmert et le ministre de la Défense, Amir Peretz- «liquider» le Hezbollah, fait traîner les choses et refuse un cessez-le-feu, voulant gagner du temps. Ce à quoi s'emploie notamment l'administration américaine, quand le président américain, George W.Bush, réitère le «droit» d'Israël «à se défendre» sans faire référence, à aucun moment, à un cessez-le-feu ou à des pressions sur les belligérants, y compris Israël, qui fait fi du droit international ni ne respecte le droit de la guerre comme le stipulent les Conventions de Genève de 1949. De fait, à propos de la venue dans la région d'émissaires des Nations unies, le vice-Premier ministre israélien, Shimon Peres, faisant montre d'un scepticisme appuyé a déclaré que «le principal problème, c'est que l'ONU n'a pas d'influence sur le Liban» comme s'il en avait eu sur Israël qui a interdit en 2002 à une mission d'enquête de l'ONU sur les carnages de Jénine d'entrer dans les territoires palestiniens. Et cynique, M.Peres d'ajouter qu'Israël «ne pouvait accepter des pressions» alors que, selon lui, «les Nations unies ne sont pas capables d'en exercer» sur le Hezbollah, comme si l'ONU, ou le reste du monde pouvaient faire pression sur l'Etat hébreu. Les grandes puissances qui, sous le couvert de l'antisémitisme, ont placé Israël sur un piédestal ont en fait en réalité un Etat hors normes qui échappe aux lois et au droit internationaux. Ce qui se passe depuis trois semaines au Proche-Orient illustre largement ce postulat.