Même avec l'effritement du mouvement, le brasier kabyle ne risque pas de s'éteindre comme il ne l'a pas été avec la dislocation du MCB historique. Il ne fait aucun doute que les changements constatés ces dernières semaines dans les rapports entre les animateurs des ârchs, mèneront inéluctablement à la segmentation du mouvement citoyen. La décision du FFS de participer aux élections du 10 octobre et le boycott du RCD ont, quelque part, déjà scellé le sort du mouvement né du printemps noir de 2001. L'antagonisme, qui caractérise la position de chacun de ces deux partis par rapport au mouvement, annonce ainsi la réédition d'un scénario déjà vécu. Qui se souvient aujourd'hui du Mouvement culturel berbère (MCB) historique? Que reste-t-il de cette structure horizontale qui a défié le parti unique et ses tentacules? C'est à peine si on entend parler du MCB coordination nationale affilié au RCD, le MCB commissions nationales appuyé par le FFS ou encore du MCB rassemblement national proche de l'aile autonomiste de Ferhat Mehenni. Des débris épars d'un mouvement broyé par l'acuité des affrontements politiques entre le RCD et le FFS. Les signes de fracture au sein du MCB sont apparus avec les premières années de l'avènement du multipartisme en Algérie. Le 25 janvier 1990, le RCD avait appelé ses militants et les citoyens à ne pas rejoindre Alger pour prendre part à la marche organisée par le MCB. Evidemment, le FFS avait soutenu cette marche qui a eu lieu. Cinq années plus tard, le MCB avait reçu le coup de grâce, c'était durant la grève du cartable observée dans toute la Kabylie en 1995. D'un côté, le MCB coordination nationale, qui avait négocié avec le pouvoir de Zeroual le 4 avril de la même année, de l'autre, le MCB commissions nationales, qui avait qualifié alors ces négociations d'«accords de la honte». Au mois de novembre 1995, il y a eu l'élection présidentielle, le RCD avait participé «pour barrer la route aux animateurs de Sant' Egidio», évidemment, le FFS boycotte. En 2002, le parti d'Aït Ahmed justifie sa participation aux prochaines communales par le fait que la gestion des affaires locales ne peut être confiée aux mafias et aux aventuristes. A quelque différence près, le même scénario du MCB se dessine pour les ârchs qui risquent d'être broyés. Ainsi, la disjonction théorique réalisée depuis le début du mouvement en 2001, entre les partis politiques et les ârchs s'effrite. L'exclusion du délégué de Tigzirt, Zeroual, est contestée par une partie des citoyens, Abrika maintient le forcing sur la non-tenue des prochaines élections et la coordination de Boumerdès semble se démarquer de la position d'Abrika. Qui du RCD ou du FFS va périr dans ce face-à-face? Le malheur de l'un fera le bonheur de l'autre, diriez-vous. Ni l'un ni l'autre puisque la victime sera le mouvement citoyen. Au bonheur du pouvoir central qui va même discrètement applaudir cet état de fait. Ce dernier, censé régler la crise, n'a jamais dépassé les cloisons de ses intrigues et autres manipulations. Aux pires moments de la crise de Kabylie, il ne s'est jamais officiellement adressé à ces partis (le FFS et le RCD) ou tout au moins aux élus légitimes de la région. Euréka ! Il a fallu au bout du compte solliciter l'égoïsme intelligent du FFS et assister en spectateur aux «débats» dans l'arène kabyle. Une façon très dangereuse de différer le problème et de retarder la bombe, car il ne faut pas oublier que les jeunes auxquels on a usurpé le printemps de 2001 ont, dans leur majorité, à peine vingt ans. Dans vingt ans, ils auront l'âge de structurer d'autres mouvements pour reposer, avec plus de virulence, les problèmes différés. L'exemple le plus clair est donné par les animateurs actuels des ârchs dont bon nombre ont pris part aux manifestations d'avril 1980, conduites par le MCB. Il ne faut pas perdre de vue aussi que, dans vingt ans, le Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie (MAK) de Ferhat Mehenni aura tout juste cet âge. Des voix politiques s'élèvent, d'ores et déjà, et affirment que si l'autonomie était appliquée sans arrière-pensée politique, elle pourrait servir le pays. D'ici à là, aurions-nous une pratique politique saine dans notre pays? Sans verser dans l'alarmisme, il faut dire que le rythme ainsi que l'angle avec lesquels est traité et considéré le problème de Kabylie par les décideurs n'augurent rien de bon pour cette région contestée et contestataire.