Depuis les inondations du 1er octobre, la wilaya de Ghardaïa assiste à un ballet gouvernemental sans précédent pour venir au secours d'une population encore sous le choc. La catastrophe est d'une telle ampleur qu'il faudrait des mois pour en effacer les stigmates. Nous avons pu le constater samedi, à l'occasion de la visite effectuée par le ministre de l'Education nationale, Boubekeur Benbouzid, dans la wilaya. Si les élèves ont pu reprendre les cours, une semaine après la catastrophe, ils ne savent pas combien de temps durera le provisoire. Pour certains, ils ont été orientés vers d'autres écoles de la région où ils partagent la mi-journée avec les autres élèves qui y sont scolarisés. Du coup, c'est toute la programmation qui est chamboulée et des cours qui sautent du programme, en attendant le retour à la normale. Dans certains cas, comme à El-Atteuf, c'est l'école communautaire de formation Ennahda qui a pris sur elle d'accueillir les élèves du lycée. Dans d'autres écoles occupées par des familles sinistrées, il aura fallu user de trésors de diplomatie pour les convaincre des libérer les lieux. Reprise des cours sur fond de promesses Sur place, le ministre a dû constater les dégâts qui se chiffrent à quelque 150 milliards de centimes pour son secteur. 120 000 élèves se sont retrouvés sans école, alors que 24 établissements scolaires sont touchés, à des degrés différents. Pour la localité d'El-Atteuf, le ministre a été formel : le lycée inauguré en 1998 et le CEM en 1983 ne pourront plus recevoir d'élèves. “Je ne veux plus courir de risque et je ne veux plus voir d'établissement scolaire érigé sur le lit d'un oued”, martèle-t-il. Que faire, alors, de ces deux structures, certes inondées jusqu'au plafond, mais qui tiennent encore debout ? Le ministre suggère de les raser, même si les autorités locales hésitent et préfèrent les destiner aux associations. À la place de ces deux structures, Benbouzid décide la réalisation d'un nouveau lycée et de deux CEM. Et pour parer au plus pressé, des établissements en préfabriqué seront construits et dotés de tout le matériel pédagogique, mais aussi de la climatisation. Les travaux débuteront dans les prochains jours pour être réceptionnés dans deux ou trois mois. En tout, le ministre prévoit la construction de trois lycées et de 6 CEM pour la wilaya de Ghardaïa. Pour ces nouvelles constructions, les estimations définitives n'ont pas encore été faites. Seule certitude,“les autorités locales doivent se débrouiller pour trouver des terrains sur les crêtes. Plus question de construire sur le lit de l'oued”, martèle Benbouzid. Le ministre de l'Education nationale s'est montré très généreux en répondant favorablement à toutes les sollicitations des autorités locales et en y ajoutant un plus de sa part. En tout, ce seront quelque 165 millions de dinars qui seront consacrés à la réfection des établissements scolaires, au renouvellement total du mobilier, à l'achat des livres scolaires qui seront distribués gratuitement à tous les élèves, la commande de 100 bus scolaires et la restauration de tous les élèves, ainsi que les aides aux écoles communautaires. Le cauchemar continue pour certains En dehors des écoles, la vie reprend difficilement son cours à Ghardaïa et les stigmates de la catastrophe sont encore présents et interpellent les regards et les sens. Dès que nous entrons dans la ville de Ghardaïa, en tournant au rond-point qui mène vers le centre-ville, le spectacle de la désolation pointe son décor : des voitures emportées par la furie de l'oued M'zab continuent à joncher la vallée. La route principale est fissurée, créant un embouteillage monstre, des engins des travaux publics poursuivent leurs travaux de déblaiement et des pistes provisoires sont ouvertes à la hâte pour permettre la jonction entre les deux parties de la ville. Dans les ruelles, beaucoup de personnes portent des masques, pas seulement, pour échapper à la poussière envahissante, mais aussi et surtout en raison des odeurs nauséabondes qui se dégagent des nombreuses ruelles complètement éventrées par les eaux. Beaucoup d'habitants et de volontaires se sont résignés à marcher pieds nus dans la gadoue, avec tous les risques que cela comporte. Dans le quartier de Baba-Saâd, nous avons l'impression que l'inondation date de la veille, tellement le niveau des eaux et de la boue reste assez élevé. Difficile de se frayer un chemin dans ces ruelles, même en 4x4. Des militaires, mais aussi des habitants de cette ex-oasis s'affairent à dégager les eaux et la boue. L'amertume se lit sur tous les visages. Les gens sont fatigués de se battre contre l'eau et la boue qui ne tarissent pas, dans une région où il est impossible de faire appel à des engins de travaux publics. La station de bus de Baba-Saâd est envahie par les eaux usées qui y ont formé une véritable mare, rendant l'air irrespirable aux alentours. À El-Atteuf, première cité édifiée par les Ibadites lorsqu'ils sont venus s'y installer, il y a un peu plus de mille ans, dans la vallée du M'zab, les eaux n'ont rien épargné sur les rivages de l'oued : maisons éventrées, routes défoncées, écoles inondées, pylônes électriques arrachés et passerelles cassées en plusieurs morceaux. Les “locaux de Bouteflika” (NDLR, programme de cent locaux par commune) fraîchement achevés, ont résisté à l'eau, mais pas la route sur laquelle ils ont été construits. Ils sont à présent suspendus sur un îlot en plein milieu de l'oued. Ailleurs, le spectacle n'est pas aussi reluisant. La noria de camions venus de toutes les wilayas et l'impressionnant déploiement des militaires dans les zones sinistrées renseignent à eux seuls sur l'ampleur de la tâche. Les sinistrés s'impatientent devant les retards accusés dans les opérations de déblaiement ou dans l'acheminement des aides. En attendant l'arrivée des chalets promis par le chef du gouvernement, beaucoup de familles sinistrées ont été prises en charge par leurs proches. Certains malins ont cru bon de saisir cette “aubaine” pour aller squatter des logements appartenant à l'Opgi. Une centaine de faux sinistrés ont dû y être délogés en fin de semaine. Ils ont beau protester devant le siège de la wilaya, vendredi dernier, arguant du fait qu'ils soient dans le besoin, leur cri n'aura aucune chance d'être entendu par ces temps de mobilisation générale au profit des sinistrés. Et maintenant ? Difficile de croire qu'à Ghardaïa, l'oued pouvait faire autant de dégâts ! C'est que toutes les cités édifiées autour de la vallée du M'zab, à commencer par El-Atteuf, en passant par Melika Bounoura, Ghardaïa et Beni Izguène, l'ont été sur la base d'une sagesse ibadite bien ancrée : on construit sur les crêtes et on gère les eaux pluviales de façon parcimonieuse. Le système de gestion des eaux du M'zab avait suscité l'admiration de nombreux spécialistes mondialement reconnus. Hélas, ce système n'a pas résisté aux aléas du temps, notamment l'urbanisation sauvage et ce qui va avec comme raccordement en électricité et gaz ainsi que le réseau d'assainissement. L'évolution démographique et urbanistique a débordé avant l'oued. Les oasis, utilisées jadis exclusivement pour l'agriculture et, accessoirement, en résidences d'été, se sont transformées, ces dernières années, en habitations permanentes, faisant un pied de nez aux puristes qui se sont démenés comme des beaux diables pour bâtir la nouvelle cité de Béni Izguène, fidèle aux normes architecturales de la société mozabite. Un joyau architectural qui semble faire exception à la règle par ces temps d'urbanisme sauvage. Les gardiens des traditions se veulent philosophes en affirmant que l'oued déborde une fois tous les 50 ans. Certains, comme ceux d'El-Atteuf, jurent que leur cité n'a pas connu pareilles inondations depuis 1901 et expliquent, de ce fait, que les générations actuelles ne savent rien de la furie de l'oued, d'où leur inconscience qui les a poussés à construire sur le lit de l'oued. D'autres mettent en cause la fragilité de la digue de huit mètres érigée pour protéger la vallée, et qui a connu quelques fissures au passage. Les “oumanas” (gens de confiance) ne veulent pas d'un barrage qui “tuerait au charme de la vallée” et préfèrent construire plusieurs digues qui freinent l'avancée des eaux. Pour eux, “l'oued vient de retrouver son véritable lit avec ces inondations. Il a tracé ses propres limites, à nous de les respecter”. Mais tous semblent oublier qu'il faudrait compter, désormais, avec la nouvelle donne qu'est le bouleversement climatique qui n'épargne aucune région de la planète. Il reste, le reste, tout le reste. Une fois les traces de la catastrophe effacées, les larmes séchées et la vie normale retrouvée. Que va-t-on faire des constructions édifiées sur le lit de l'oued ? Va-t-on démolir tout ce qui s'y trouve ? L'avenir nous le dira. A. B.