À travers leur rassemblement, les gardes communaux refusent de passer au compte pertes et profits et exigent une réparation à la mesure de leur sacrifice. “On va rester ici jusqu'à satisfaction de nos revendications”. Le teint basané, la casquette vissée sur la tête et les traits tirés par la fatigue d'une nuit perturbée, Abdelkrim, proche de la quarantaine, n'est pas disposé à quitter la place des Martyrs avant la satisfaction de leurs revendications. Comme beaucoup parmi ses confrères, il est venu d'un lointain patelin de Bouira pour crier à la face de la République le désarroi d'un corps, constitué à la hâte au milieu des années 1990 pour la sauver des griffes du terrorisme et aujourd'hui presque abandonné, selon lui. Qualifiés par certains de “miliciens”, devenus, visiblement, encombrants pour les autorités après la “réconciliation nationale”, les gardes communaux sont revenus à Alger une seconde fois en l'espace d'un mois pour faire leur “printemps”. Pas de Prague, ni de Kiev, mais juste remettre sur le tapis les revendications non satisfaites, exprimées déjà en mars dernier. Une retraite complète pour les promotions des années 1994 à 1997 sans limitation d'âge, une augmentation des salaires de 10 000 DA au minimum, le paiement des heures supplémentaires, l'octroi d'une prime compensatoire des “17 ans de lutte antiterroriste accomplis” et la réintégration des éléments radiés après indemnisation des années perdues et une couverture sociale 24h sur 24h plutôt que 8. “On a donné notre vie pour ce pays et maintenant que la paix est revenue, on est abandonné. On veut vivre dignement”, vitupère Abdelkrim. Père de quatre enfants, lui qui a eu à connaître les “nuits froides du maquis” se demande par quelle ironie de l'histoire, les ennemis d'hier se retrouvent mieux considérés par la République. “Un repenti nous a lancé un jour : qu'est-ce que vous avez gagné ?”. Certains couchés à même le sol sur des cartons, portant leurs uniformes, d'autres avec des sacs à dos, ils étaient quelque 3 000 gardes communaux à se rassembler hier à la place des Martyrs. La veille, déjà certains avaient décidé de tenir un sit-in devant la présidence de la République, mais la police a décidé de les en empêcher et de les conduire vers la place des Martyrs. Et l'arrivée, ici, point de chute, n'a pas été une balade de santé pour tout le monde. “Y a ceux qui ont été arrêtés dans des barrages et délestés de leurs tenues”, affirme un garde, sous le sceau de l'anonymat. On évoque même des intimidations de la part de certains commandements comme à Aïn Defla ou à Blida pour dissuader les gardes communaux d'aller manifester leur colère dans la lointaine capitale. “Tous ceux que vous voyez ici risquent la radiation. Certains, parmi nous, sont même menacés d'être jetés en prison au cas où nous participerions au rassemblement”, lance un autre. Face à un impressionnant dispositif policier et une colonne de camions stationnés tout le long du boulevard Zighout-Youcef, les gardes communaux observaient leur sit-in dans la sérénité. D'autant que leur plate-forme de revendications a été remise en début de matinée à un responsable des contentieux à la présidence de la République. “On a été reçu et on lui a remis nos revendications. Si on nous répond, on va libérer la place, sinon on est prêt à rester un mois”, explique Hakim, un des représentants, venu de Blida. “Qu'ils nous donnent nos droits et qu'ils dissolvent ce corps, s'il faut”, tonne-t-il. S'ils attendent une réponse de la présidence de la République, prévue pour l'après-midi, c'est parce que les promesses d'Ould Kablia n'étaient pas satisfaisantes, encore plus, elles n'ont pas eu l'aval de ces délégués. Quant à la perspective du redéploiement, elle est rejetée. “On veut un choix personnel”, dit-il. Bouteflika pourra-t-il répondre à leurs doléances ? “J'ai 8 enfants, je n'ai aucun boulot, je suis radié depuis 2007. L'Etat nous a abandonnés”, lance, dans un cri de désarroi, un policier venu de Souk-Ahras. Ils sont près de 100 000 à attendre la reconnaissance de la République… Karim Kebir