Pour la première fois depuis l'occupation de l'Irak par les Etats-Unis, la France se trouve engagée dans un conflit qu'elle avait tenté d'éviter. Epargnée jusque-là par la guérilla et les groupes mafieux qui sévissent dans un pays de plus en plus incontrôlable, la France vient de perdre la protection dont elle semblait jouir en raison de sa position antiguerre. Depuis hier, on sait que les deux journalistes, Christian Chesnot et Georges Malbrunot, disparus depuis une dizaine de jours alors qu'ils se rendaient de Bagdad vers la ville sainte de Nadjaf soumise à un siège, sont les otages d'un groupe qui se désigne sous le nom de l'“Armée islamique en Irak”. Le groupe, qui a annoncé avoir enlevé les journalistes français, a exigé l'annulation dans les 48 heures par Paris de la loi sur le voile islamique car, affirme-t-il, elle comporte une “injustice et une agression contre l'islam et la liberté personnelle dans le pays de la liberté présumée”. La loi en question doit entrer en application à l'occasion de la rentrée scolaire prévue la semaine prochaine. Immédiatement après l'annonce de la revendication par la chaîne El-Djazira, les plus hautes autorités françaises se sont mobilisées hier en vue d'obtenir la libération des deux journalistes, tandis que des responsables politiques et religieux dénoncent l'ultimatum des preneurs d'otages. Le président, Jacques Chirac, a reçu à 16h 30 à l'Elysée le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, qui a présidé à son tour deux réunions avec les principaux ministres concernés : Outre Michel Barnier (Affaires étrangères), Dominique de Villepin (Intérieur) et Renaud Donnedieu de Vabres (Communication), François Fillon (Education nationale), Michèle Alliot-Marie (Défense) et Jean-François Copé, ministre délégué à l'Intérieur, ont été convoqués. Le ministre de l'Intérieur, Dominique de Villepin, s'est réuni avec les membres du Comité français du culte musulman (CFCM). Il a demandé la libération des deux journalistes “à tous ceux qui détiennent une autorité ou une part de responsabilité” dans cette affaire. Le Premier ministre, complètement mobilisé, devait également recevoir dans la soirée les présidents du Sénat, Christian Poncelet, et de l'Assemblée nationale, Jean-Louis Debré ainsi que les principaux responsables des partis politiques lundi en fin de matinée. Il a annulé son déplacement à l'université d'été du Parti radical à Juan-lès où il devait prononcer, en fin de matinée, son discours politique de rentrée. La prise d'otages a été dénoncée par les principaux responsables de la communauté musulmane, ainsi que par de nombreuses personnalités politiques. Le président du CFCM, Dalil Boubakeur, a affirmé hier que “la communauté musulmane devait se démarquer de ces agissements condamnables par l'islam et ne donner aucune réaction qui indiquerait que ces gens agissent dans son intérêt”. L'Union des organisations islamistes de France, proche des Frères musulmans et hostile à la loi sur le voile à l'école, “a condamné vigoureusement cette prise d'otages et a refusé avec la plus grande fermeté à toute force étrangère le droit de s'immiscer de la sorte dans les relations de l'islam de France avec la République”. L'annonce de l'enlèvement a suscité une immense surprise en France où l'optimisme dominait. Des sources proches de la famille d'un des deux journalistes ont assuré à Liberté que l'espoir était de mise. On attribuait l'enlèvement à un groupe ignorant la nationalité de ses captifs et qui voulait ensuite s'en séparer dans la grande discrétion. Toutefois, une éventuelle manipulation était évoquée hier, prudemment, par certains analystes. Elle serait l'œuvre de parties souhaitant amener la France à s'impliquer en Irak. Y. K.