Squarcini, le contre-espion qui parlait Enlèvement au Niger, fuites au Monde... Le patron du contre-espionnage s'expose et parle beaucoup. Normal pour un ancien des RG proche de Nicolas Sarkozy. Bon flic, tout de même! Cinq Français et deux autres ressortissants étrangers ont été enlevés, jeudi 16 septembre avant l'aube, dans la région minière d'Arlit, au nord du Niger, et Bernard Squarcini, le patron du contre-espionnage, en a pratiquement prévenu l'opinion, trois jours à l'avance. Certes, dans l'entretien qu'il a accordé au Journal du Dimanche, le week-end dernier, le directeur central du renseignement intérieur (DCRI) soupesait surtout le risque d'un passage dans l'hexagone, pour une action d'éclat, d'un commando d'Al-Qaïda Maghreb islamique (AQMI), plutôt qu'une prise d'otage dans le désert, méthode désormais classique, que les services occidentaux imputent aux extrémistes de la bande sahélienne. Finalement, même si, le 17 septembre, l'enlèvement —les preneurs d'otages pourraient être directement liés à l'AQMI ou des pirates spécialisées dans la «revente» de ressortissants occidentaux à cette organisation terroriste— n'avait pas été revendiqué par «la franchise» d'Al-Qaïda en Afrique, il s'est déroulé à quelques kilomètres de l'endroit où avait été kidnappé Michel Germaneau, assassiné en juillet dernier. Bernard Squarcini n'est donc pas devin mais, pour un homme du contre-espionnage, il pratique un exercice assez paradoxal. Il parle. Il apparaît comme le contraire d'un espion passe-muraille. Dans le Journal du dimanche, il en appelle à la vigilance, et en cela, il est dans son rôle. «Nous sommes aujourd'hui au même niveau de menace qu'en 1995», prévient-il. Mais il détaille assez précisément cette menace contre la France, rançon, selon lui, de «son engagement en Afghanistan, de prises de positions fermes en matière de politique étrangère et de débat de société comme la loi sur le voile intégral». Il met en exergue la montée en puissance d'AQMI dans la bande sahélienne, et justifie l'opération militaire montée, l'été dernier, pour tenter d'arracher Michel Germaneau, gravement malade et sans médicaments, à ses geôliers. Accroître la pression Certes, on peut imaginer que cette intervention médiatique, qui a été autorisée par Nicolas Sarkozy, a fonction de message codé, adressé d'abord aux extrémistes islamiques eux-mêmes - à la condition, évidemment, qu'il leur parvienne. Sous-entendu: la France va continuer à vous combattre. Elle va même accroître sa pression. Certains spécialistes de l'anti-terrorisme se sont tout de même étonnés de cette prise de parole du premier responsable de la police de l'ombre, assez peu dans les habitudes de la corporation. D'autant plus que ces derniers mois, la DCRI est parvenue à empêcher plusieurs actions terroristes sur le territoire national et à devenir une source de choix pour les services alliés, notamment américains. C'était une tradition de l'ancienne DST, désormais intégrée à la DCRI: sa capacité, depuis déjà deux décennies, à former de jeunes Français de confession musulmane et d'origine maghrébine, et à les infiltrer dans les mouvances islamiques. Voir à les envoyer «s'entraîner» dans les camps du Pakistan, et même du Yémen. Pour certains consultants, une sortie à la lumière du patron de la DCRI est un risque pris de voir les adversaires extrémistes redoubler de méfiance, partout où la présence de djihadistes plus ou moins liés à la France pourrait être détectée. C'est oublier que la DCRI, créée en 2008, sur décision personnelle du chef de l'Etat, est un mélange, parfois contre nature, de l'ancienne DST et des Renseignements Généraux (RG), reste de police politique, disons plus visible, et à la réputation historiquement plus contrastée. Et son chef est lui-même un pur produit des RG. Il en a occupé les postes les plus prestigieux et les plus exposés. Né en 1955 à Rabat, docteur en droit et diplômé de l'institut de criminologie, le commissaire Bernard Squarcini a été successivement un spécialiste RG des affaires corses, de la lutte contre les séparatistes basques d'ETA, dans les Pyrénées-Atlantiques. Il a ensuite été nommé chef de la Division Enquêtes et Recherche à la Direction Centrale des Renseignements Généraux (DCRG). Dans le cercle fermé des proches de Nicolas Sarkozy Déjà repéré par Nicolas Sarkozy, devenu ministre de l'Intérieur, il passe alors pour avoir sauvé la mise à celui-ci en accélérant enfin l'arrestation d'Yvan Colonna, après des mois d'échecs et de ridicule. On le retrouve ensuite préfet délégué à la sécurité auprès du préfet de la région PACA. Nicolas Sarkozy entend le nommer directeur de la DCRG, mais Jacques Chirac, qui est encore le chef de l'Etat, bloque cette promotion. Depuis, on parle d'amitié entre le Président et ce «grand flic». Régulièrement, on annonce son entrée parmi les conseillers de l'Elysée, en charge de la sécurité. Bernard Squarcini à sa place dans le cercle fermé des proches de Nicolas Sarkozy, issus de la police, au même titre que Christian Lambert, nouveau préfet de Seine Daint-Denis ou que Frédéric Péchenard, directeur de la police nationale, et ami d'enfance du chef de l'Etat. Dès lors, il peut paraître savoureux de voir Bernard Squarcini, qui occupe officiellement l'un des cinq ou six postes nécessairement les plus secrets de la puissance d'Etat intervenir assez précipitamment dans des affaires secondaires qui tiennent, non à l'anti-terrorisme, mais à des aléas sensibles, médiatiquement et politiquement parlant, déclenchés, parfois maladroitement, depuis l'Elysée. Ainsi, par deux fois déjà, alors que les services présidentiels démentaient avoir demandé une quelconque enquête, on a vu le patron de la DCRI venir expliquer à la presse que, oui, une enquête avait bien été menée par ses services, et qu'il s'agissait-là d'une démarche à la fois régulière et réglementaire. Cela a été le cas dans l'histoire de «la rumeur» sur la vie privée de Carla et de Nicolas Sarkozy. Puis dans celle des «fuites» ayant permis au Monde d'informer sur l'affaire Woerth-Bettencourt. Fusibles exposés Un même système se met alors en place. Bernard Squarcini indique qu'il a fait agir la DCRI sur ordre de son supérieur, Frédéric Péchenard, lequel met en avant des nécessités de routine, concernant la préservation de l'ordre public ou des libertés privées. Les soubresauts de la vie élyséenne sont tels, désormais, que les pouvoirs publics font donner deux de leurs plus éminents fusibles, en les exposant en dépit des usages. Ces réflexes de sauvegarde, qui tendent à devenir une méthode de défense, pour le pouvoir, présentent désormais un inconvénient, qui, dans l'affaire dite du Monde, fonctionne à plein. L'opposition et les médias s'étonnent que, pour rechercher les auteurs de fuites éventuelles, l'Etat ait recours «au contre-terrorisme». L'emploi de ce vocable est abusif. Dans les deux cas cités plus haut, «rumeur» et «fuite», comme dans «l'affaire Julien Coupat», où la DCRI est intervenue pour freiner les dérapages de l'enquête sur «les sabotages» supposés de lignes SNCF, ce n'est évidemment pas les agents de l'ancienne DST qui ont agi, mais bien ceux des ex-RG. Dans la police, comme au sommet d'un Etat, même de droit, on ne se refait pas. Les vieilles habitudes demeurent. Les RG ont toujours été chargés de prévenir le gouvernement des mauvais coups, scoops et révélations, que la presse préparait contre lui. Ils ont toujours été une police d'information, chargée de comprendre l'opinion et les milieux d'influence, et d'avertir le pouvoir à temps pour qu'il puisse éviter de réagir à chaud. Malgré la fusion de deux corps aux styles souvent contraires, l'un de silence, l'autre d'exposition, dans une même structure, la DCRI, une tradition est maintenue. Et Bernard Squarcini, qui a la double particularité d'être un proche du président et un spécialiste des ex-RG, ne peut pas tout à fait oublier sa culture d'origine.