Revêche, tenace et irrévérencieux, le hirak national continue bruyamment, spectaculairement mais pacifiquement son bonhomme de chemin, probablement stimulé, voire revigoré par la mise en garde, l'intimidation et même la mauvaise propagande des groupuscules « novembristes-badissistes » qui sont, en fait, de piètres « contre-hirakistes ». Ces derniers ont mystérieusement disparus comme ils sont apparus. Le plus désolant et le plus contre-productif des résultats est sans doute la rupture du dialogue indispensable à toute avancée dans le règlement urgent de la crise actuelle. Le ressentiment ou l'expression autoritaire, mauvais conseillers, poussent à la radicalité d'une population ayant trop longtemps souffert de la mauvaise gouvernance, du pillage des richesses du pays, des promesses non tenues, du déni de droit, de l'esbroufe et de la trahison. Renouer la confiance entre le gouverné et le gouverneur demande sans doute pédagogie, patience et gestes de bonne volonté. Malgré l'urgence des échéances en rapport au fonctionnement normal de l'Etat, et les vraisemblables périls économiques et sociaux, l'écoute attentive des revendications les plus pertinentes (elles ne semblent pas inaccessibles) et la négociation patiente avec les forces politiques et citoyennes pourraient être les meilleurs moyens d'arriver à une solution durable à la crise actuelle, menaçante à plus d'un titre. Il n'est toujours pas trop tard pour bien faire. Par contre, la réémergence d'anciennes figures d'une gouvernance condamnée par l'histoire, semble jouer la fonction de poil-à-gratter et d'exacerbation de la méfiance à l'égard des élections envisagées pour le 12 décembre prochain. A Sétif, en ce vendredi 27 septembre, et après un « service minimum » aoutien, le hirak reprend de la consistance et de la vigueur. Un second souffle semble s'en dégager en voyant la procession de près 8 000 manifestants s'étirer sur près de 500 mètres sur les avenues du centre-ville. C'est le second vendredi mobilisateur de la rentrée sociale. Pourtant, l'œil et l'ouïe attentifs semblent percevoir une discrète lassitude et de « à quoi bon ? » parmi les plus âgés des manifestants plus enclins à la résignation. Ce n'est nullement le cas chez les plus jeunes dont la vigueur débordante n'a d'égal que l'espoir qu'ils portent en eux. Le hirak à Sétif et probablement dans d'autres villes du pays, malgré sa fabuleuse dynamique, jamais vue dans l'histoire d'Algérie depuis 1962, n'arrive toujours pas à drainer les centaines de milliers de citoyens terrés chez eux, zappant sur les chaînes à partir de leur canapé, ou attablés sur les terrasses des cafés de la ville ou à somnoler étalés sur le gazon ou zyeuter les jeunes filles qui se déhanchent dans le parc de loisir, à quelques dizaines de mètres à peine de l'agora habituel du hirak, le siège de la wilaya. On ne peut invoquer les intimidations et les restrictions de déplacement de citoyens qui n'ont pas cours à Sétif. Sur le chemin de la procession sur une distance de près de 3 km, des dizaines de citoyens de tout âge s'agglutinent pour regarder et filmer de leurs smartophones les marcheurs sans même y signifier une marque de sympathie, d'admiration ou de réprobation. Le hirak est – il devenu chez certains, juste une curiosité ou une étrangéité ? Quid de l'enthousiasme débordant des 5 premiers mois du hirak à Sétif qui a réuni jusqu'à 20 000 manifestants ? De tout temps et en tout lieu les mouvements citoyens ou révolutionnaires n'ont pu capter l'adhésion spontanée de la totalité des citoyens. Les « non concernés », les « neutres » ou « silencieux », les « khobzistes », les spectateurs-méprisants, les hésitants et les incrédules ont toujours existé mais ne se confondent pas nécessairement avec ceux des « maa elwaguef » (ceux qui sont avec « celui qui est debout »), les combattants du dernier quart d'heure, les « 19 mars », les opportunistes, près à sauter sur le haut de la vague, à retourner leur veste et à proposer toute leur servilité aux nouveaux maîtres des lieux et du moment. Cela me fait rappeler une édifiante scène observée de près ce vendredi même,. Alors que la file des marcheurs se déplaçait joyeusement aux environs du lycée Malika Gaid, un homme de la cinquantaine s'est introduit dans la foule pour s'y mettre en face des manifestants, intrépidement il faut le dire. L'intrus, comme un porteur de bonne parole, s'est adressé courtoisement à la foule, en priant les manifestants de renoncer à leur hostilité envers « eddaoula » (l'Etat) qui « fait du mieux qu'elle peut pour résorber la crise » et en affirmant que la meilleure solution à leurs revendications passe par l'adhésion aux élections décidées par la « kiada » (commandement). La réponse fut elle aussi, spontanée et sans violence aucune : « makaneche el intikhabat maa el issabat » (pas d'élection avec les bandes) criée par des centaines de voix. L'homme désavoué s'est éclipsé sans demander son reste. La plus belle et probablement la plus redoutable des armes du hirak est sans aucun doute « selmya, selmya » (pacfique, pacifique). Scandée par des milliers de voix, elle a une force magique. Aucun heurt, ni empoignade, ni même insulte ou grossièreté n'ont été observées ou entendues dans les rangs des manifestants. A peine, des qualificatifs irrévérencieux à l'égard des tenants du pouvoir dont certains noms sont passés à la trappe, comme sortis du radar du hirak. Aucune restriction, intimidation ou arrestation n'ont été signalées du côté de la police qui a été, comme de coutume, discrète, alerte et prévenante. Pour finir, je voudrai rendre hommage à ces deux sympathiques arroseurs qui ont accompagné le hirak durant tout l'été. Portant à tour de rôle, des 20 à 30kg que pèse le pulvériseur à dos, ils ont arrosé la foule tout le long de son parcours pour atténuer les brûlures du soleil et apporter quelque bienfaisante fraîcheur aux manifestants. Ils ont été encore présents ce chaud vendredi 27 septembre. Bravo aux porteurs d'eau. Hamoud ZITOUNI.