Si des députés se sont montrés critiques envers le gouvernement, ils ont également tenu à le rassurer : ils vont adopter, demain, le plan d'action de l'Exécutif. "Nous allons vous accompagner, mais nous allons être des soutiens conseillers", a résumé un député du RND. Lors de la présentation du plan d'action du gouvernement à l'APN, hier, les membres de l'Exécutif ont eu droit à un hémicycle hostile. Face à Abdelaziz Djerad qui voulait montrer un "un nouveau visage" du pouvoir, les députés de l'ancienne majorité présidentielle ont voulu, manifestement, offrir, eux aussi, une nouvelle image. À peine l'intervention d'Abdelaziz Djerad terminée, lequel s'est exprimé devant une assistance composée essentiellement de députés de l'ancienne alliance présidentielle et de ceux des partis islamistes, les critiques ont fusé. Le langage des députés est légèrement soigné, mais les mots sont parfois acerbes. "Vous voulez nous laisser mourir alors que vous aurez forcément une prise en charge à l'étranger en cas de maladie", a fulminé Lyès Sadi, un député FLN de la capitale, à l'adresse du ministre de la Santé, qui a reconnu, il y a quelques jours, que l'Etat n'avait pas suffisamment de moyens pour acquérir des molécules neuves pour lutter contre le cancer. Comme beaucoup de ses collègues, le parlementaire, qui vient tout juste de prendre son siège à l'Assemblée où il a remplacé Sid-Ahmed Ferroukhi, démissionnaire, a visiblement le cœur lourd. Aux ministres considérés, et notamment à ceux issus du hirak, il a rappelé leur passé. "Moi, j'ai voté par conviction. Je ne vais pas vous dire que vous êtes des traîtres. Mais chaque matin, vous pouvez regarder vos vidéos et vous rendre compte de ce que vous avez pu faire", a dit le député FLN à l'adresse du ministre délégué chargé de la Production cinématographique, Youcef Sehiri, passé de la rue qui gronde au gouvernement en quelques jours seulement. Plus que cela, le député s'est même montré frontal avec le Premier ministre. "Vous affirmez que cette Assemblée est constituée d'incompétents et de corrompus ? Je vous demande alors : que faites-vous ici ?" "Il est peut-être utile de vous conduire dans des pays démocratiques pour voir comment se créent les vrais partis politiques et comment se construisent les démocraties", a, quant à elle, attaqué Nora Boudaoui. La députée du FLN de Jijel fait sans doute allusion, ici, à une affirmation faite par le chef de l'Etat qui a suggéré d'inviter "des jeunes pour voir la vie misérable" dans les pays développés. Même le président de l'APN, Slimane Chenine, ne s'est pas empêché de défendre le vote, par les députés, de la loi de finances 2020. Il répondait à Abdelaziz Djerad qui venait de tacler l'APN en lui reprochant d'avoir adopté une loi contenant des "dispositions fiscales injustes". Les attaques mises à part, les intervenants, quasiment tous issus des partis du pouvoir, ont voulu se montrer sous un autre jour. Eux qui ont soutenu toutes les options du régime Bouteflika découvrent la critique. "Votre plan, que nous allons soutenir, manque de vision, de délais", a, par exemple, "osé" Abdelhamid Si-Affif, un des défenseurs les plus zélés d'Abdelaziz Bouteflika, avant de faire le grand écart pour "féliciter" le nouveau chef de l'Etat. "Votre plan peut être sincère. Mais il manque d'objectifs chiffrés. Puis, vous devez nous dire comment vous allez financer tout cela ?", a dit Mohamed Naomi, député de Djelfa, comme pour émettre un doute sur la capacité du gouvernement à appliquer son plan. Incontestablement, le nombre pléthorique de ministres qui composent l'actuel gouvernement, ne laisse personne indifférent. "Monsieur le Premier ministre, vous venez de dire que les finances de l'Etat sont au rouge. Mais pourquoi alors nommer 39 ministres ? Est-il justifié que pour le seul département de l'Industrie, on compte 4 ministres avec leurs administrations et services ?", s'interroge Mohamed Naomi, qui se félicite pour "pour une fois" de s'exprimer à partir du perchoir, autrefois réservé au gouvernement et aux chefs des groupes parlementaires. Des critiques sur le fond… Dans le fond, beaucoup d'intervenants ont relevé des anomalies dans le plan d'action du gouvernement. Si nombre d'entre eux n'ont quasiment pas trouvé beaucoup de choses à dire dans le volet politique, la gestion des questions économiques a donné du grain à moudre à certains députés. C'est le cas d'Abdelmadjid Dennouni, député FLN et ancien président d'une organisation patronale, qui demande au gouvernement d'uniformiser la réglementation fiscale. "Il faut mettre fin à l'instabilité fiscale", a préconisé le parlementaire qui accuse les autorités de "trop" demander aux opérateurs économiques qui activent dans la légalité, alors que ceux qui travaillent dans l'informel sont épargnés. "Plus de 50% de l'activité économique est dans l'informel. Alors, le gouvernement a choisi la facilité : imposer ceux qui ont des registres du commerce", a-t-il indiqué. Il demandera également au gouvernement de réactiver le Conseil de la concurrence "pour éviter des situations de monopole". Face au gouvernement qui a voulu donner l'impression de révolutionner la "gouvernance", certains députés ont opposé la réalité du terrain. Salah Eddine Bekhili, député du RND, rappelle à Abdelaziz Djerad et surtout au ministre du Commerce, Kamel Rezig, que si "le gouvernement ne change pas le système des subventions, vous n'aurez rien fait". "Au lieu de créer une polémique sur le lait, il est temps de cibler les subventions", a-t-il indiqué. "Est-il normal qu'un smicard paie le sachet de lait au prix subventionné, au même titre qu'un riche ?", s'est-il interrogé. "Il est temps de sortir de cette situation", a-t-il encore suggéré. Si des députés se sont montrés critiques, ils ont tenu à rassurer le gouvernement : ils vont adopter, jeudi, le plan d'action de l'Exécutif. "Nous allons vous accompagner, mais nous allons être des soutiens conseillers", a résumé Salah Eddine Bekhili. Une assertion qui rappelle le "soutien critique" de certains courants politiques du pouvoir dans les années 1970 et 1980. La présentation du plan d'action du gouvernement à l'Assemblée aura finalement été une occasion que les députés ont saisie pour tenter de revenir, avec leurs partis, eux qui ont été disqualifiés par le hirak, devenant peu fréquentables, y compris et pour le nouveau pouvoir. Cette tribune qu'offre l'APN est également une bonne fenêtre de tir en prévision des élections législatives anticipées prévues cette année.